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en revue les différentes familles des divers villages du canton, et les individus qui les composaient, leurs mœurs, leur caractère, leurs moyens d’existence. Chose plus difficile qu’on ne pense ! En voyant prendre des mesures si bien combinées, les paysans qui vivaient des Aigues, opposèrent un mutisme complet, une soumission narquoise à cette intelligente police.

Dès l’abord, Michaud et Sibilet se déplurent mutuellement. Le franc et loyal militaire, l’honneur des sous-officiers de la Jeune Garde, haïssait la brutalité mielleuse, l’air mécontent du régisseur, qu’il nomma tout d’abord le Chinois. Il remarqua bientôt les objections par lesquelles Sibilet s’opposait aux mesures radicalement utiles et les raisons par lesquelles il justifiait les choses d’une douteuse réussite. Au lieu de calmer le général, Sibilet, ainsi qu’on a dû le voir par ce récit succinct, l’excitait sans cesse et le poussait aux mesures de rigueur, tout en essayant de l’intimider par la multiplicité des ennuis, par l’étendue des petitesses, par des difficultés renaissantes et invincibles. Sans deviner le rôle d’espion et d’agent provocateur accepté par Sibilet, qui, dès son installation, se promit à lui-même de choisir, selon ses intérêts, un maître entre le général et Gaubertin, Michaud reconnut dans le régisseur une nature avide, mauvaise, aussi ne s’en expliquait-il point la probité. La profonde inimitié qui sépara ces deux hauts fonctionnaires plut d’ailleurs au général. La haine de Michaud le portait à surveiller le régisseur, espionnage auquel il ne serait pas descendu, si le général le lui avait demandé. Sibilet caressa le garde-général et le flatta bassement, sans pouvoir lui faire quitter une excessive politesse que le loyal militaire mit entre eux comme une barrière.

Maintenant, ces détails préliminaires étant connus, on comprendra parfaitement l’intérêt des ennemis du général et celui de la conversation qu’il eut avec ses deux ministres.


IX. De la médiocratie

— Eh ! bien, Michaud, qu’y a-t-il de nouveau ? demanda le général quand la comtesse eut quitté la salle à manger.

— Mon général, si vous m’en croyez, nous ne parlerons pas d’affaires ici, les murs ont des oreilles, et je veux avoir la certitude que ce que nous dirons ne tombera que dans les nôtres.

— Eh ! bien, répondit le général, allons en nous promenant jusqu’à la Régie