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trois hommes capables d’être ses collaborateurs et de faire des gardes sans peur et sans reproche.

Le premier, nommé Steingel, Alsacien pur sang, était fils naturel du général de ce nom, qui succomba lors des premiers succès de Bonaparte, au début des campagnes d’Italie. Grand et fort, il appartenait à ce genre de soldats habitués comme les Russes à l’obéissance absolue et passive. Rien ne l’arrêtait dans l’exécution de ses devoirs, il eût empoigné froidement un empereur ou le pape, si tel avait été l’ordre. Il ignorait le péril. Légionnaire intrépide, il n’avait pas reçu la moindre égratignure en seize ans de guerre. Il couchait à la belle étoile ou dans son lit avec une indifférence stoïque. Il disait seulement à toute aggravation de peine : — Il paraît que c’est aujourd’hui comme ça !

Le second, nommé Vatel, enfant de troupe, caporal de voltigeurs, gai comme un pinson, d’une conduite un peu légère avec le beau sexe, sans aucun principe religieux, brave jusqu’à la témérité, vous aurait fusillé son camarade en riant. Sans avenir, ne sachant quel état prendre, il vit une petite guerre amusante à faire dans les fonctions qui lui furent proposées ; et comme la Grande Armée et l’Empereur remplaçaient pour lui la Religion, il jura de servir envers et contre tous le brave Montcornet. C’était une de ces natures essentiellement chicanières à qui, sans ennemis, la vie semble fade, enfin la nature-avoué, la nature-agent de police. Aussi, sans la présence de l’huissier, aurait-il saisi la Tonsard et son fagot au milieu du Grand-I-Vert, en envoyant promener la loi sur l’inviolabilité du domicile.

Le troisième, nommé Gaillard, vieux soldat devenu sous-lieutenant, criblé de blessures, appartenait à la classe des soldats-laboureurs. En pensant au sort de l’Empereur, tout lui semblait indifférent ; mais il allait aussi bien par insouciance que Vatel par passion. Chargé d’une fille naturelle, il trouva dans cette place un moyen d’existence, et il accepta comme il eût accepté du service dans un régiment.

En arrivant aux Aigues, où le général devança ses troupiers afin de renvoyer Courtecuisse, il fut stupéfait de l’impudente audace de son garde. Il existe une manière d’obéir qui comporte, chez l’esclave, la raillerie la plus sanglante du commandement. Tout, dans les choses humaines, peut arriver à l’absurde, et Courtecuisse en avait dépassé les limites.

Cent vingt-six procès-verbaux dressés contre des délinquants,