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lui sembla plus pressante, il lui fallait un alter ego qui le remplaçât à la Mairie pendant le temps de son séjour à Paris. Forcé de trouver pour adjoint un homme sachant lire et écrire, il ne vit dans toute la commune que Langlumé, le locataire de son moulin. Ce choix fut détestable. Non seulement les intérêts du général-maire et de l’adjoint-meunier étaient diamétralement opposés, mais encore Langlumé brassait de louches affaires avec Rigou qui lui prêtait l’argent nécessaire à son commerce ou à ses acquisitions. Le meunier achetait la tonte des prés du château pour nourrir ses chevaux ; et, grâce à ses manœuvres, Sibilet ne pouvait les vendre qu’à lui. Tous les prés de la commune étaient livrés à de bons prix avant ceux des Aigues ; et ceux des Aigues, restant les derniers, subissaient, quoique meilleurs, une dépréciation. Langlumé fut donc un adjoint provisoire ; mais, en France, le provisoire est éternel, quoique le Français soit soupçonné d’aimer le changement. Langlumé, conseillé par Rigou, joua le dévoûment auprès du général, il se trouvait donc adjoint au moment où, par la toute-puissance de l’historien, ce drame commence.

En l’absence du maire, Rigou, nécessairement membre du conseil de la commune, y régna donc et fit prendre des résolutions contraires au général. Tantôt il y déterminait des dépenses profitables aux paysans seulement et dont la plus forte part tombait à la charge des Aigues qui, par leur étendue, payaient les deux tiers de l’impôt ; tantôt on y refusait des allocations utiles, comme un supplément de traitement à l’abbé, la reconstruction du presbytère, ou les gages ( sic ) d’un maître d’école.

— Si les paysans savaient lire et écrire, que deviendrions-nous ?… dit Langlumé naïvement au général pour justifier cette décision anti-libérale prise contre un frère de la doctrine chrétienne que l’abbé Brossette avait tenté d’introduire à Blangy.

De retour à Paris, le général, enchanté de son vieux Groison, se mit à la recherche de quelques anciens militaires de la Garde impériale avec lesquels il pût organiser sa défense aux Aigues sur un pied formidable. A force de chercher, de questionner des amis et des officiers en demi-solde, il déterra Michaud, un ancien maréchal-des-logis-chef aux cuirassiers de la Garde, un homme de ceux que les troupiers appellent soldatesquement des durs à cuire, surnom fourni par la cuisine du bivouac, où il s’est plus d’une fois trouvé des haricots réfractaires. Michaud tria parmi ses connaissances