Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/335

Cette page n’a pas encore été corrigée

— C’est la guerre des écus, dit Sibilet, et celle-là vous semblera plus difficile que l’autre. On tue les hommes, on ne tue pas les intérêts. Vous vous battrez avec votre ennemi sur le champ de bataille où combattent tous les propriétaires, la réalisation ! Ce n’est rien que de produire, il faut vendre, et pour vendre, il faut être en bonnes relations avec tout le monde.

— J’aurai les gens du pays pour moi…

— Et comment ?… demanda Sibilet.

— En leur faisant du bien.

— Faire du bien aux paysans de la vallée, aux petits bourgeois de Soulanges ?… dit Sibilet en louchant horriblement par l’effet de l’ironie qui flamba plus dans un œil que dans l’autre. Monsieur le comte ne sait pas ce qu’il entreprend, notre seigneur Jésus-Christ y périrait une seconde fois sur la croix !… Si vous voulez votre tranquillité, monsieur le comte, imitez feu mademoiselle Laguerre, laissez-vous piller, ou faites peur aux gens. Le peuple, les femmes et les enfants se gouvernent de même, par la terreur. Ce fut là le grand secret de la Convention et de l’Empereur.

— Ah ! çà, nous sommes donc dans la forêt de Bondy ? s’écria Montcornet.

— Mon ami, vint dire Adeline à Sibilet, ton déjeûner t’attend. Pardonnez-moi, monsieur le comte ; mais il n’a rien pris depuis ce matin, et il est allé jusqu’à Ronquerolles pour y livrer du grain.

— Allez ! allez ! Sibilet.

Le lendemain matin, levé bien avant le jour, l’ancien cuirassier revint par la porte d’Avonne, dans l’intention de causer avec son unique garde, et d’en sonder les dispositions.

Une portion de sept à huit cents arpents de la forêt des Aigues longeait l’Avonne, et pour conserver à la rivière sa majestueuse physionomie, on avait laissé de grands arbres en bordure, d’un côté comme de l’autre de ce canal, presque en droite ligne, pendant trois lieues. La maîtresse de Henri IV, à qui les Aigues avaient appartenu, folle de la chasse autant que le Béarnais, fit bâtir, en 1593, un pont d’une seule arche et en dos d’âne, pour passer de cette partie de la forêt à celle beaucoup plus considérable, achetée pour elle et située sur la colline. La porte d’Avonne fut alors construite pour servir de rendez-vous de chasse, et l’on sait quelle magnificence les architectes déployaient pour ces édifices consacrés au plus grand plaisir de la Noblesse et de la Couronne. De là partaient