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n’est pas tout ! Tous calculs faits, le pauvre père Mariotte, un brave homme, perd à cette adjudication. Forcé de payer tout au comptant, il vend à terme, Gaubertin livre des bois à des termes inouïs pour le ruiner, et il donne son bois à cinq pour cent au-dessous du prix de revient, aussi son crédit a-t-il reçu de fortes atteintes. Enfin, aujourd’hui monsieur Gaubertin poursuit encore et tracasse tant ce pauvre homme qu’il va quitter, dit-on, non-seulement Auxerre mais encore le département, et il fait bien. De ce coup-là, les propriétaires ont été pour longtemps immolés aux marchands qui maintenant font les prix, comme à Paris les marchands de meubles, à l’hôtel des Commissaires-priseurs. Mais Gaubertin évite tant d’ennuis aux propriétaires qu’il y gagnent.

— Et comment ? dit le général.

— D’abord, toute simplification profite tôt ou tard à tous les intéressés, répondit Sibilet. Puis, les propriétaires ont de la sécurité pour leurs revenus. En matière d’exploitation rurale, c’est le principal, vous le verrez ! Enfin, monsieur Gaubertin est le père des ouvriers, il les paie bien et les fait toujours travailler ; or comme leurs familles habitent la campagne, les bois des marchands ou ceux des propriétaires qui confient leurs intérêts à Gaubertin, comme fournisseurs de Soulanges et de Ronquerolles, ne sont point dévastés. On y ramasse le bois mort, et voilà tout.

— Ce drôle de Gaubertin n’a pas perdu son temps !… s’écria le général.

— C’est un fier homme, reprit Sibilet. Il est, comme il le dit, le régisseur de la plus belle moitié du département au lieu d’être le régisseur des Aigues. Il prend peu de chose à tout le monde, et ce peu de chose sur deux millions lui fait quarante ou cinquante mille francs par an. — " C’est, dit-il, les cheminées de Paris qui paient tout ! " Voilà votre ennemi, général ! Aussi, mon avis serait-il de capituler en vous réconciliant avec lui. Il est lié, vous le savez, avec Soudry, le brigadier de la gendarmerie à Soulanges, avec monsieur Rigou, notre maire de Blangy, les gardes-champêtres sont ses créatures, la répression des délits qui vous grugent devient alors impossible. Depuis deux ans surtout, vos bois sont perdus. Aussi messieurs Gravelot ont-ils de la chance pour le gain de leur procès, car ils disent : " Aux termes du bail, la garde des bois est à votre charge ; vous ne les gardez pas, vous me faites