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— J’écoute, allons nous asseoir sur ce banc.

— Monsieur le comte, quand vous avez renvoyé monsieur Gaubertin, il a fallu qu’il se fît un état, car il n’était pas riche…

— Il n’était pas riche, et il volait ici plus de vingt mille francs par an !

— Monsieur le comte, je n’ai pas la prétention de le justifier, reprit Sibilet, je voudrais voir prospérer les Aigues, ne fût-ce que pour démontrer l’improbité de Gaubertin ; mais ne nous abusons pas, nous avons en lui le plus dangereux coquin qui soit dans toute la Bourgogne, et il s’est mis en état de vous nuire.

— Comment ? dit le général devenu soucieux.

— Tel que vous le voyez, Gaubertin est à la tête du tiers environ de l’approvisionnement de Paris. Agent général du commerce des bois, il dirige les exploitations en forêt, l’abattage, la garde, le flottage, le repêchage et la mise en trains. En rapports constants avec les ouvriers, il est le maître des prix. Il a mis trois ans à se créer cette position ; mais il est comme dans une forteresse. Devenu l’homme de tous les marchands, il n’en favorise pas un plus que l’autre ; il a régularisé tous les travaux à leur profit, et leurs affaires sont beaucoup mieux et moins coûteusement faites que si chacun d’eux avait, comme autrefois, son comptable. Ainsi, par exemple, il a si bien écarté toutes les concurrences, qu’il est le maître absolu des adjudications ; la Couronne et l’État sont ses tributaires. Les coupes de la Couronne et de l’État, qui se vendent aux enchères, appartiennent aux marchands de Gaubertin, personne aujourd’hui n’est assez fort pour les leur disputer. L’année dernière, monsieur Mariotte d’Auxerre, stimulé par le directeur des Domaines, a voulu faire concurrence à Gaubertin ; d’abord, Gaubertin lui a fait payer l’Ordinaire ce qu’il valait ; puis, quand il s’est agi d’exploiter, les ouvriers Avonnais ont demandé de tels prix, que monsieur Mariotte a été obligé d’en amener d’Auxerre, et ceux de La-Ville-aux-Fayes les ont battus. Il y a eu procès correctionnel sur le chef de coalition, et sur le chef de rixe. Ce procès a coûté de l’argent à monsieur Mariotte, qui, sans compter l’odieux d’avoir fait condamner de pauvres gens, a payé tous les frais, puisque les perdants ne possédaient pas un rouge liard. Un procès contre des indigents ne rapporte que de la haine à qui vit près d’eux. Laissez-moi vous dire cette maxime en passant, car vous aurez à lutter contre tous les pauvres de ce canton-ci. Ce