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dans les premiers jours de l’année 1819, le retinrent la plus grande partie de l’été précédent auprès d’Alençon, au château de son beau-père, à faire la cour à sa prétendue. Outre les Aigues et son magnifique hôtel, le général Montcornet possédait soixante mille francs de rentes sur l’État et jouissait du traitement des lieutenants-généraux en disponibilité. Quoique Napoléon eût nommé cet illustre sabreur comte de l’Empire en lui donnant pour armes un écusson écartelé au un d’azur au désert d’or à trois pyramides d’argent ; au deux, de sinople à trois cors de chasse d’argent ; au trois, de gueules au canon d’or monté sur un affût de sable, au croissant d’or en chef ; au quatre, d’or à la couronne de sinople, avec cette devise digne du Moyen-Age : Sonnez la charge ! Montcornet se savait issu d’un ébéniste du faubourg Saint-Antoine, encore qu’il l’oubliât volontiers. Or, il se mourait du désir d’être renommé pair de France. Il ne comptait pour rien le grand cordon de la Légion-d’Honneur, sa croix de Saint-Louis et ses cent quarante mille francs de rentes. Mordu par le démon de l’aristocratie, la vue d’un cordon bleu le mettait hors de lui. Le sublime cuirassier d’Essling eût lappé la boue du pont Royal pour être reçu chez les Navarreins, les Lenoncourt, les Grandlieu, les Maufrigneuse, les d’Espard, les Vandenesse, les Chaulieu, les Verneuil, les d’Hérouville, etc.

Dès 1818, quand l’impossibilité d’un changement en faveur de la famille Bonaparte lui fut démontrée, Montcornet se fit tambouriner dans le faubourg Saint-Germain par quelques femmes de ses amies, offrant son cœur, sa main, son hôtel, sa fortune au prix d’une alliance quelconque avec une grande famille.

Après des efforts inouïs, la duchesse de Carigliano découvrit chaussure au pied du général, dans une des trois branches de la famille de Troisville, celle du vicomte, au service de Russie depuis 1789, revenu d’émigration en 1815. Le vicomte, pauvre comme un cadet, avait épousé une princesse Sherbellof, riche d’environ un million ; mais il s’était appauvri par deux fils et trois filles. Sa famille, ancienne et puissante, comptait un pair de France, le marquis de Troisville, chef du nom et des armes ; deux députés ayant tous nombreuse lignée et occupés pour leur compte au budget, au ministère, à la cour, comme des poissons autour d’une croûte. Aussi, dès que Montcornet fut présenté par la maréchale, une des duchesses napoléoniennes les plus dévouées aux Bourbons,