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pour régisseur. Par les conseils de madame Soudry, devenue l’oracle de la petite ville, le bonhomme avait emmené sa fille, dont en effet l’aspect disposa favorablement le comte de Montcornet.

— Je ne me déciderai pas, répondit le général, sans prendre des renseignements ; mais je ne chercherai personne jusqu’à ce que j’aie examiné si votre gendre remplit toutes les conditions nécessaires à sa place. Le désir de fixer aux Aigues une si charmante personne…

— Mère de deux enfants, général, dit assez finement Adeline pour éviter la galanterie du cuirassier.

Toutes les démarches du général furent admirablement prévues par les Soudry, par Gaubertin et Lupin, qui ménagèrent à leur candidat la protection, au chef-lieu du département où siége une cour royale, du conseiller Gendrin, parent éloigné du président de La-Ville-aux-Fayes, celle du baron Bourlac, procureur-général de qui relevait Soudry fils, le procureur du Roi, puis celle d’un conseiller de préfecture appelé Sarcus, cousin au troisième degré du juge-de-paix. Depuis son avoué de La-Ville-aux-Fayes, jusqu’à la Préfecture où le général alla lui-même, tout le monde fut donc favorable au pauvre employé du Cadastre. Son mariage rendait Sibilet irréprochable comme un roman de miss Edgeworth, et le posait d’ailleurs en homme désintéressé.

Le temps que le régisseur chassé passa nécessairement aux Aigues fut mis à profit par lui pour créer des embarras à son ancien maître, et qu’une seule des petites scènes jouées par lui fera deviner. Le matin de son départ, il fit en sorte de rencontrer Courtecuisse le seul garde qu’il eût pour les Aigues, dont l’étendue en exigeait au moins trois.

— Eh ! bien, monsieur Gaubertin, lui dit Courtecuisse, vous avez donc eu des raisons avec notre bourgeois ?

— On t’a déjà dit cela ? répondit Gaubertin. Eh ! bien, oui, le général a la prétention de nous mener comme ses cuirassiers, il ne connaît pas les Bourguignons. Monsieur le comte n’est pas content de mes services, et comme je ne suis pas content de ses façons, nous nous sommes chassés tous deux, presqu’à coups de poing, car il est violent comme une tempête… Prends garde à toi, Courtecuisse ! Ah ! mon vieux, j’avais cru pouvoir te donner un meilleur maître…