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de Soulanges. Nommé pair de France en 1814, et resté fidèle aux Bourbons pendant les Cent-jours, monsieur de Soulanges avait demandé cette nomination au Garde-des-sceaux. Cette parenté donnait à Gaubertin une certaine importance dans le pays. Relativement, d’ailleurs, un président de tribunal est, dans une petite ville, un plus grand personnage qu’un premier président de cour royale qui trouve au chef-lieu des égaux dans le général, l’évêque, le préfet, le receveur-général, tandis qu’un simple président de tribunal n’en a pas, le procureur du roi, le sous-préfet étant amovibles ou destituables. Le jeune Soudry, le camarade à Paris comme aux Aigues de Gaubertin fils, venait alors d’être nommé substitut du procureur du roi dans le chef-lieu du département. Avant de devenir brigadier de gendarmerie, Soudry père, fourrier dans l’artillerie, avait été blessé dans une affaire en défendant monsieur de Soulanges, alors adjudant-général. Lors de la création de la gendarmerie, le comte de Soulanges, devenu colonel, avait demandé pour son sauveur la brigade de Soulanges ; et, plus tard, il sollicita le poste où Soudry fils avait débuté. Enfin, le mariage de mademoiselle Gaubertin étant chose conclue au quai de Béthune, le comptable infidèle se sentait plus fort dans le pays qu’un lieutenant-général mis en disponibilité.

Si cette histoire ne devait pas offrir d’autre enseignement que celui qui ressort de la brouille du général et de son régisseur, elle serait déjà profitable à bien des gens pour leur conduite dans la vie. A qui sait lire fructueusement Machiavel, il est démontré que la prudence humaine consiste à ne jamais menacer, à faire sans dire, à favoriser la retraite de son ennemi en ne marchant pas, selon le proverbe, sur la queue du serpent, et à se garder comme d’un meurtre de blesser l’amour-propre de plus petit que soi. Le Fait, quelque dommageable qu’il soit aux intérêts, se pardonne à la longue, il s’explique de mille manières ; mais l’amour-propre, qui saigne toujours du coup qu’il a reçu, ne pardonne jamais à l’Idée. La personnalité morale est plus sensible, plus vivante en quelque sorte que la personnalité physique. Le cœur et le sang sont moins impressibles que les nerfs. Enfin notre être intérieur nous domine, quoi que nous fassions. On réconcilie deux familles qui se sont entretuées, comme en Bretagne ou en Vendée, lors des guerres civiles ; mais on ne réconciliera pas plus les spoliés et les spoliateurs, que les calomniés et les calomniateurs. On ne doit s’injurier que dans les poèmes