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rurale, le sournois cuirassier sentit combien il était utile de le conserver pour se mettre au courant de cette agriculture correctionnelle ; aussi se donna-t-il l’air de continuer mademoiselle Laguerre, fausse insouciance qui trompa le régisseur. Cette apparente niaiserie dura pendant tout le temps nécessaire au général pour connaître le fort et le faible des Aigues, les détails des revenus, la manière de les percevoir, comment et où l’on volait, les améliorations et les économies à réaliser. Puis, un beau jour, ayant surpris Gaubertin la main dans le sac, suivant l’expression consacrée, le général entra dans une de ces colères particulières à ces dompteurs de pays. Il fit alors une de ces fautes capitales, susceptibles d’agiter toute la vie d’un homme qui n’aurait pas eu sa grande fortune ou sa consistance, et d’où sourdirent, d’ailleurs, les malheurs, grands et petits, dont fourmille cette histoire. Elève de l’école impériale, habitué à tout sabrer, plein de dédain pour les péquins, Montcornet ne crut pas devoir prendre de gants pour mettre à la porte un coquin d’intendant. La vie civile et ses mille précautions étaient inconnues à ce général aigri déjà par sa disgrâce, il humilia donc profondément Gaubertin qui s’attira d’ailleurs ce traitement cavalier par une réponse dont le cynisme excita la fureur de Montcornet.

— Vous vivez de ma terre ? lui avait dit le comte avec une railleuse sévérité.

— Croyez-vous donc que j’aie pu vivre du ciel ? répliqua Gaubertin en riant.

— Sortez, canaille, je vous chasse ! dit le général en lui donnant des coups de cravache que le régisseur a toujours niés, les ayant reçus à huis-clos.

— Je ne sortirai pas sans mon quitus, dit froidement Gaubertin après s’être éloigné du violent cuirassier.

— Nous verrons ce que pensera de vous la police correctionnelle, répondit Montcornet en haussant les épaules.

En s’entendant menacer d’un procès en police correctionnelle, Gaubertin regarda le comte en souriant. Ce sourire eut la vertu de détendre le bras du général, comme si les nerfs en eussent été coupés. Expliquons ce sourire.

Depuis deux ans, le beau-frère de Gaubertin, un nommé Gendrin, longtemps juge au Tribunal de Première Instance de La-Ville-aux-Fayes, en était devenu le président par la protection du comte