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Lupin, fils du dernier intendant de la maison de Soulanges, s’était prêté à de faibles expertises, à une mise à prix de cinquante pour cent au-dessous de la valeur, à des affichages inédits, à toutes les manœuvres malheureusement si communes au fond des provinces pour adjuger, sous le manteau, selon le proverbe, d’importants immeubles. Dernièrement il s’est formé, dit-on, à Paris, une compagnie dont le but est de rançonner les auteurs de ces trames, en les menaçant d’enchérir. Mais, en 1816, la France n’était pas, comme aujourd’hui, brûlée par une flamboyante publicité, les complices pouvaient donc compter sur le partage des Aigues fait secrètement entre la Cochet, le notaire et Gaubertin qui se réservait in petto de leur offrir une somme pour les désintéresser de leurs lots, une fois la terre en son nom. L’avoué chargé de poursuivre la licitation au tribunal par Lupin avait vendu sa charge sur parole à Gaubertin pour son fils, en sorte qu’il favorisa cette spoliation, si tant est que les onze cultivateurs picards à qui cette succession tomba des nues, se regardèrent comme spoliés.

Au moment où tous les intéressés croyaient leur fortune doublée, un avoué de Paris vint, la veille de l’adjudication définitive, charger l’un des avoués de La-Ville-aux-Fayes, qui se trouvait être un de ses anciens clercs, d’acquérir les Aigues, et il les eut pour onze cent mille cinquante francs. A onze cent mille francs, aucun des conspirateurs n’osa continuer d’enchérir. Gaubertin crut à quelque trahison de Soudry, comme Lupin et Soudry se crurent joués par Gaubertin ; mais la déclaration de command les réconcilia. Quoique soupçonnant le plan formé par Gaubertin, Lupin et Soudry, l’avoué de province se garda bien d’éclairer son ancien patron. Voici pourquoi : En cas d’indiscrétion des nouveaux propriétaires, cet officier ministériel aurait eu trop de monde à dos pour pouvoir rester dans le pays. Ce mutisme, particulier à l’homme de province, sera d’ailleurs parfaitement justifié par les événements de cette étude. Si l’homme de province est sournois, il est obligé de l’être ; sa justification se trouve dans son péril admirablement exprimé par ce proverbe : Il faut hurler avec les loups! le sens du personnage de Philinte.

Quand le général Montcornet prit possession des Aigues, Gaubertin ne se trouva plus assez riche pour quitter sa place. Afin de marier sa fille aînée au riche banquier de l’Entrepôt, il était obligé de la doter de deux cent mille francs ; il devait payer trente mille