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de la Conciergerie et l’aspect du préau, meublé de ces hôtes dévoués au bagne, à l’échafaud, à une peine infamante quelconque, donne la crainte de la justice humaine à ceux qui pourraient ne pas craindre la justice divine, dont la voix parle si haut dans la conscience ; et ils en sortent honnêtes gens pour longtemps.

Les promeneurs qui se trouvaient au préau quand Jacques Collin y descendit devant être les acteurs d’une scène capitale dans la vie de Trompe-la-Mort, il n’est pas indifférent de peindre quelques-unes des principales figures de cette terrible assemblée.

Là, comme partout où les hommes sont rassemblés ; là, comme au collège, règnent la force physique et la force morale. Là donc, comme dans les bagnes, l’aristocratie est la criminalité. Celui dont la tête est en jeu prime tous les autres. Le préau, comme on le pense, est une école de Droit criminel ; on l’y professe infiniment mieux qu’à la place du Panthéon. La plaisanterie périodique consiste à répéter le drame de la cour d’assises, à constituer un président, un jury, un ministère public, un avocat, et à juger le procès. Cette horrible farce se joue presque toujours à l’occasion des crimes célèbres. À cette époque, une grande cause criminelle était à l’ordre du jour des assises, l’affreux assassinat commis sur monsieur et madame Crottat, anciens fermiers, père et mère du notaire, qui gardaient chez eux, comme cette malheureuse affaire l’a prouvé, huit cent mille francs en or. L’un des auteurs de ce double assassinat était le célèbre Dannepont, dit La Pouraille, forçat libéré, qui, depuis cinq ans, avait échappé aux recherches les plus actives de la police à la faveur de sept ou huit noms différents. Les déguisements de ce scélérat étaient si parfaits, qu’il avait subi deux ans de prison sous le nom de Delsouq, un de ses élèves, voleur célèbre qui ne dépassait jamais, dans les affaires, la compétence du tribunal correctionnel. La Pouraille en était, depuis sa sortie du bagne, à son troisième assassinat. La certitude d’une condamnation à mort rendait cet accusé, non moins que sa fortune présumée, l’objet de la terreur et de l’admiration des prisonniers ; car pas un liard des fonds volés ne se retrouvait. On peut encore, malgré les événements de juillet 1830, se rappeler l’effroi que causa dans Paris ce coup hardi, comparable au vol des médailles de la Bibliothèque pour son importance ; car la malheureuse tendance de notre temps à tout chiffrer rend un assassinat d’autant plus frappant que la somme volée est plus considérable.