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fait de visite, nous nous occuperons de ma petite protégée.

Et la jolie femme, oubliant déjà les haillons de Mouche et de Fourchon, leurs regards haineux et les terreurs de Sibilet, alla se faire chausser et mettre un chapeau.

L’abbé Brossette et Blondet obéirent à l’appel de la maîtresse de la maison en la suivant, et l’attendirent sur la terrasse devant la façade.

— Que pensez-vous de tout ça ? dit Blondet à l’abbé.

— Je suis un paria, l’on m’espionne comme l’ennemi commun, je suis forcé d’ouvrir à tout moment les yeux et les oreilles de la prudence pour éviter les piéges qu’on me tend afin de se débarrasser de moi, répondit le desservant. J’en suis, entre nous, à me demander s’ils ne me tireront pas un coup de fusil…

— Et vous restez ?… dit Blondet.

— On ne déserte pas plus la cause de Dieu que celle d’un Empereur ! répondit le prêtre avec une simplicité qui frappa Blondet.

L’écrivain prit la main du prêtre et la lui serra cordialement.

— Vous devez comprendre alors, reprit l’abbé Brossette, comment je ne puis rien savoir de ce qui se trame. Néanmoins, il me semble que le général est ici sous le coup de ce qu’en Artois et en Belgique, on appelle le mauvais gré.

Quelques phrases sont ici nécessaires sur le curé de Blangy.

Cet abbé, quatrième fils d’une bonne famille bourgeoise d’Autun, était un homme d’esprit, portant le rabat très-haut. Petit et fluet, il rachetait sa piètre figure par cet air têtu qui sied aux Bourguignons. Il avait accepté ce poste secondaire par dévoûment, car sa conviction religieuse était doublée d’une conviction politique. Il y avait en lui du prêtre des anciens temps, il tenait à l’Église et au clergé passionnément, il voyait l’ensemble des choses, et l’égoïsme ne gâtait pas son ambition : servir était sa devise, servir l’Église et la monarchie sur le point le plus menacé, servir au dernier rang, comme un soldat qui se sait destiné, tôt ou tard, au généralat, par son désir de bien faire et par son courage. Il ne transigeait avec aucun de ses vœux de chasteté, de pauvreté, d’obéissance, il les accomplissait comme tous les autres devoirs de sa position, avec cette simplicité et cette bonhomie, indices certains d’une âme honnête, vouée au bien par l’élan de l’instinct naturel autant que par la puissance et la solidité des convictions religieuses.