Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/294

Cette page n’a pas encore été corrigée

il est venu, dans des haillons, et vous dans de beaux linges !…

Personne n’interrompit le père Fourchon qui paraissait devoir son éloquence au vin bouché ; d’abord Sibilet voulut lui couper la parole, mais un geste de Blondet rendit le régisseur muet. Le curé, le général et la comtesse comprirent, aux regards jetés par l’écrivain, qu’il voulait étudier la question du paupérisme sur le vif, et peut-être prendre sa revanche avec le père Fourchon.

— Et comment entendez-vous l’éducation de Mouche ?

Comment vous y prenez-vous pour le rendre meilleur que vos filles ?…. demanda Blondet.

— Il ne lui parle pas de Dieu, dit le curé.

— Oh ! non, non, m’sieur le curé, je ne lui disons pas de craindre Dieu, mais l’z'houmes ! Dieu est bon, et nous a promis, selon vous aut ’, le royaume du ciel, puisque les riches gardent celui de la terre. Je lui dis : " Mouche ! crains la prison, c’est par là qu’on sort pour aller à l’échafaud. Ne vole rien, fais-toi donner ! Le vol mène à l’assassinat, et l’assassinat appelle la justice e’d'z’hommes. E’l'rasoir de la justice, v’là ce qu’il faut craindre, il garantit le sommeil des riches contre les insomnies des pauvres. Apprends à lire. Avec de l’instruction, tu trouveras des moyens d’amasser de l’argent à couvert de la loi, comme ce brave monsieur Gaubertin, tu seras régisseur, quoi ! Comme monsieur Sibilet à qui monsieur le comte laisse prendre ses rations… Le fin est d’être à côté des riches, il y a des miettes sous la table !… V’là ce que j’appelle eune fière éducation et solide. Aussi le petit mâtin est-il toujours du coûté de la loi… Ce sera ein bon sujet, il aura soin de moi.

— Et qu’en ferez-vous ?

— Un domestique pour commencer, reprit Fourchon, parce qu’en voyant les maîtres ed ’près, il s’achèvera ben, allez ! Le bon exemple lui fera faire fortune la loi en main, comme vous aut ’ !… Si m’sieur le comte le mettait dans ses écuries, pour apprendre à panser les chevaux, il en serait bien content… vu que s’il craint l’z'hommes, il ne craint pas les bêtes.

— Vous avez de l’esprit, père Fourchon, reprit Blondet, vous savez bien ce que vous dites, et vous ne parlez pas sans raison.

— Oh ! ma fine, si, car elle est au Grand-I-Vert ma raison avec mes deux pièces ed ’cent sous….

— Comment un homme comme vous s’est-il laissé tomber dans