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gens… Et gnia pas un pus brave pays que celui-ci. Voyons ? est-ce que nous avons des rentes ? est-ce qu’on ne va pas quasiment nu, et Mouche aussi ! Nous couchons dans de beaux draps, lavés tous les matins par la rosée, et à moins qu’on nous envie l’air que nous raspirons et les rayons du soleil éq ’nous buvons, je ne vois pas ce qu’on peut nous vouloir ôter !…. Les bourgeois volent au coin du feu, c’est plus profitant que de ramasser ce qui traîne au coin des bois. Il n’y a ni gardes-champêtres, ni garde à cheval pour m’sieur Gaubertin qu’est entré ici, nu comme eun var, et qu’a deux millions ! C’est bientôt dit : voleurs ! V’là quinze ans que le père Guerbet, el parcepteur de Soulanges s’en va e’d ’nos villages à la nuit avec sa recette, et qu’on ne lui a pas core demandé pas deux liards. Ce n’est pas le fait d’un pays e’d ’voleurs ? Le vol ne nous enrichit guère. Montrez-moi donc qui de nous ou de vous aut’bourgeois ont d’quoi viv ’à ne rien faire ?

— Si vous aviez travaillé, vous auriez des rentes, dit le curé. Dieu bénit le travail.

— Je ne veux pas vous démentir, monsieur l’abbé, car vous êtes plus savant que moi, et vous saurez peut-être m’expliquer ste chose-ci. Me voilà, n’est-ce pas ? Moi le paresseux, le fainéant, l’ivrogne, le propre à rien de pare Fourchon qui a eu de l’éducation, qu’a été farmier, qu’a tombé dans le malheur et ne s’en est pas erlevé !… eh ! bien, qué différence y a-t-il donc entre moi et ce brave, s’t ’honnête père Niseron, un vigneron de soixante-dix ans, car il a mon âge, qui pendant soixante ans, a pioché la terre, qui s’est levé tous les matins avant le jour pour aller au labour, qui s’est fait un corps ed ’fer et eune belle âme ! Je le vois tout aussi pauvre que moi. La Péchina, sa petite-fille, est en service chez madame Michaud, tandis que mon petit Mouche est libre comme l’air… Ce pauvre bonhomme est donc récompensé de ses vartus comme je suis puni de mes vices ? Il ne sait pas ce qu’est un verre de vin, il est sobre comme un apôtre, il enterre les morts, et moi je fais danser les vivants. Il a mangé de la vache enragée, et moi je me suis rigolé comme une joyeuse créature du diable. Nous sommes aussi avancés l’un que l’autre, nous avons la même neige sur la tête, le même avoir dans nos poches, et je lui fournis la corde pour sonner la cloche. Il est républicain, et je ne suis pas publicain, v’là tout. Que le paysan vive de bien ou de mal faire, à vout’idée, il s’en va comme