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— La voilà, dit-il en s’adressant à Blondet.

— Ma loutre, reprit le Parisien, car je l’ai bien payée.

— Oh ! mon cher monsieur, répondit le père Fourchon, la vôtre s’est enfuie, elle est à ste heure dans son trou, d’où elle n’a pas voulu sortir, car c’est la femelle, au lieur que celle-là, c’est le mâle !… Mouche l’a vu venir de loin quand vous vous êtes en allé. Aussi vrai que monsieur le comte s’est couvert de gloire avec ses cuirassiers à Waterloo, la loute est à moi, comme les Aigues sont à monseigneur le général… Mais pour vingt francs, la loute est à vous, ou je la porte à notre Souparfait, si monsieur Gourdon la trouve trop chère. Comme nous avons chassé ce matin ensemble, je vous donne la parférence, ça vous est dû.

— Vingt francs ? dit Blondet, en bon français, ça ne peut pas s’appeler donner la préférence.

— Eh ! mon cher monsieur… cria le vieillard, je sais si peu le français que je vous les demanderai, si vous voulez en Bourguignon, pourvu que je les aie, ça m’est égal, je parlerai latin, latinus, latina, latinum !… Après tout, c’est ce que vous m’avez promis ce matin ! D’ailleurs mes enfants m’ont déjà pris votre argent, que j’en ai pleuré dans le chemin en venant. Demandez à Charles ?… Je ne peux pas les assiner pour dix francs et publier leurs méfaits au Tribunau. Dès que j’ai quelques sous, ils me les volent en me faisant boire… C’est dur d’en être réduit à aller prendre un verre de vin ailleurs que chez ma fille ? .. Mais voilà les enfants d’aujourd’hui !… C’est ce que nous avons gagné à la Révolution, il n’y a plus que pour les enfants, on a supprimé les pères ! Ah ! j’éduque Mouche tout autrement, il m’aime le petit guerdin !… dit-il en donnant une tape à son petit-fils.

— Il me semble que vous en faites un petit voleur tout comme les autres, dit Sibilet, car il ne se couche jamais sans avoir un délit sur la conscience.

— Ah ! monsieur Sibilet, il a la conscience pus tranquille équ ’la vôtre… Pauvre enfant, qué qu’il prend donc ? un peu d’harbe. Ca vaut mieux que d’étrangler un homme ! Dam ! il ne sait pas, comme vous, les mathématiques, il ne connaît pas core la soustraction, l’addition, la multiplication… Vous nous faites bien du mal, allez ! Vous dites que nous sommes des tas de brigands, et vous êtes cause de la division entre notre seigneur que voilà, qu’est un brave homme, et nous autres, qui sommes de braves