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séductions que de jolies femmes exerçaient sur leurs défenseurs. On ne sait plus où s’arrêtera la morale ?… Ces précautions ressemblent à ces examens de conscience tout faits, où les imaginations pures se dépravent en réfléchissant à des monstruosités ignorées. Dans ce parloir ont également lieu les entrevues des parents et des amis à qui la police permet de voir des prisonniers, accusés ou détenus.

On doit maintenant comprendre ce qu’est le préau pour les deux cents prisonniers de la Conciergerie ; c’est leur jardin, un jardin sans arbres, ni terre, ni fleurs, un préau enfin ! Les annexes du parloir et de la pierre de saint Louis, sur laquelle se distribuent les comestibles et les liquides autorisés, constituent l’unique communication possible avec le monde extérieur.

Les moments passés au préau sont les seuls pendant lesquels le prisonnier se trouve à l’air et en compagnie ; néanmoins, dans les autres prisons, les détenus sont réunis dans les ateliers du travail ; mais, à la Conciergerie, on ne peut se livrer à aucune occupation, à moins d’être à la pistole. Là, le drame de la cour d’assises préoccupe d’ailleurs tous les esprits, puisqu’on ne vient là que pour subir ou l’instruction ou le jugement. Cette cour présente un affreux spectacle ; on ne peut se le figurer, il faut le voir, ou l’avoir vu.

D’abord, la réunion, sur un espace de quarante mètres le long sur trente de large, d’une centaine d’accusés ou le prévenus, ne constitue pas l’élite de la société. Ces misérables, qui, pour la plupart, appartiennent aux plus basses classes, sont mal vêtus ; leurs physionomies sont ignobles ou horribles ; car un criminel venu des sphères sociales supérieures est une exception heureusement assez rare. La concussion, le faux ou la faillite frauduleuse, seuls crimes qui peuvent amener là des gens comme il faut, ont d’ailleurs le privilège de la pistole, et l’accusé ne quitte alors presque jamais sa cellule.

Ce lieu de promenade, encadré par de beaux et formidables murs noirâtres, par une colonnade partagée en cabanons, par une fortification du côté du quai, par les cellules grillagées de la pistole au nord, gardé par des surveillants attentifs, occupés par un troupeau de criminels ignobles et se défiant tous les uns des autres, attriste déjà par les dispositions locales ; mais il effraie bientôt, lorsque vous vous y voyez le centre de tous ces regards pleins de haine, de curiosité, de désespoir, en face de ces êtres déshonorés.