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M’man m’a sauvé de la milice. Je ne m’appelle pas plus Mouche que rien du tout… Grand’papa m’a bien appris m’s ’avantages, je ne suis pas mis sur les papiers du gouvernement, et quand j’aurai l’âge de la conscription, je ferai mon tour de France ! on ne m’attrapera point.

— Tu l’aimes ton grand’père, dit la comtesse en essayant de lire dans ce cœur de douze ans.

— Dam ! y me fiche des gifles quand il est dans le train ; mais que voulez-vous, il est si bon enfant ! Et puis, il dit qu’il se paie de m’avoir enseigné à lire et à écrire…

— Tu sais lire ?… dit le comte.

— En dà, voui, monsieur le comte, et dans la fine écriture encore, vrai comme nous avons une loutre.

— Qu’y a-t-il là ? dit le comte en lui présentant le journal.

— La cu-o-ssi-dienne, répliqua Mouche en n’hésitant que trois fois.

Tout le monde, même l’abbé Brossette, se mit à rire.

— Eh ! dam ! vous me faites lire el journiau, s’écria Mouche exaspéré. Mon grand-p’pa dit que c’est fait pour les riches, et qu’on sait toujours plus tard ce qu’il y a là-dedans.

— Il a raison, cet enfant, général, il me donne envie de revoir mon vainqueur de ce matin, dit Blondet, je vois que sa mystification était mouchetée…

Mouche comprenait admirablement qu’il posait pour les menus plaisirs des bourgeois, l’élève du père Fourchon fut alors digne de son maître, il se mit à pleurer…

— Comment pouvez-vous plaisanter un enfant qui va pieds nus ?… dit la comtesse.

— Et qui trouve tout simple que son grand-père se rembourse en tapes des frais de son éducation ? dit Blondet.

— Voyons, mon pauvre petit, avez-vous pris une loutre ? dit la comtesse.

— Oui, madame, aussi vrai que vous êtes la plus belle femme que j’aie vue, et que je verrai jamais, dit l’enfant en essuyant ses larmes.

— Montre-la… dit le général.

— Oh ! m’sieur le comte, mon grand-p’pa l’a cachée ; mais elle gigotait core quand nous étions à notre corderie… Vous pouvez faire venir mon grand-p’pa, car il veut la vendre lui-même.

— Emmenez-le à l’office, dit la comtesse à François, qu’il y déjeûne en