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— La religion devrait commencer par lui donner des pantalons, mon cher abbé, dit Blondet. Dans vos missions, ne débutez-vous pas par amadouer les Sauvages ?…

— Il aurait bientôt vendu ses habits, répondit l’abbé Brossette à voix basse, et je n’ai pas un traitement qui me permette de faire un pareil commerce.

— Monsieur le curé a raison, dit le général en regardant Mouche.

La politique du petit gars consistait à paraître ne rien comprendre à ce qu’on disait quand on avait raison contre lui.

— L’intelligence du petit drôle vous prouve qu’il sait discerner le bien du mal, reprit le comte. Il est en âge de travailler, et il ne songe qu’à commettre des délits impunément. Il est bien connu des gardes !… Avant que je ne fusse maire, il savait déjà qu’un propriétaire, témoin d’un délit sur ses terres, ne peut pas faire de procès-verbal, il restait effrontément dans mes prés avec ses vaches, sans en sortir quand il m’apercevait, tandis que maintenant il se sauve !

— Ah ! c’est bien mal, dit la comtesse, il ne faut pas prendre le bien d’autrui, mon petit ami…

— Madame, faut manger, mon grand-père me donne pus de coups que de miches, et ça creuse l’estomac, les gifles !… Quand les vaches ont du lait, j’en trais un peu, ça me soutient. Monseigneur est-il donc si pauvre qu’il ne puisse me laisser boire un peu de son herbe ?…

— Mais, il n’a peut-être rien mangé d’aujourd’hui, dit la comtesse émue par cette profonde misère. Donnez-lui donc du pain, et ce reste de volaille, enfin qu’il déjeûne !… ajouta-t-elle en regardant le valet de chambre. — Où couches-tu ?

— Partout, madame, où l’on veut bien nous souffrir l’hiver, et à la belle étoile quand il fait beau.

— Quel âge as-tu ?

— Douze ans.

— Mais il est encore temps de le mettre en bon chemin, dit la comtesse à son mari.

— Ca fera un soldat, dit rudement le général, il est bien préparé. J’ai souffert tout autant que lui, moi, et me voilà.

— Pardon, général, je ne suis pas déclaré, dit l’enfant, je ne tirerai pas au sort. Ma pauvre mère, qu’était fille, est accouchée aux champs. Je suis fils de la Tarre, comme dit mon grand’papa.