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— Va nous quérir une autre bouteille, dit Tonsard à sa fille. S’il avait une loute, ton père nous la montrerait, répondit-il en s’adressant à sa femme et tâchant de réveiller la susceptibilité de Fourchon.

— J’ai trop peur de la voir dans votre poêle à frire ! dit le vieillard qui cligna de l’un de ses petits yeux verdâtres en regardant sa fille. Philippine m’a déjà esbigné ma pièce, et combien donc que vous m’en avez effarouché ed ’ mes pièces, sous couleur de me vêtir, de me nourrir ?… Et vous me dites que ma gueule est hâtive, et je vas toujours tout nu.

— Vous avez vendu votre dernier habillement pour boire du Vin Cuit au Café de la Paix, papa ?… dit la Tonsard, à preuve que Vermichel a voulu vous en empêcher…

— Vermichel !… lui que j’ai régalé ? Vermichel est incapable d’avoir trahi l’amitié, ce sera ce quintal de vieux lard à deux pattes qu’il n’a pas honte d’appeler sa femme !

— Lui ou elle, répondit Tonsard, ou Bonnébault…

— Si c’était Bonnébault, reprit Fourchon, lui qu’est un des piliers du café… je… le… suffit.

— Mais licheur, quéque ça fait que vous ayez vendu vos effets ? Vous les avez vendus parce que vous les avez vendus, vous êtes majeur ! reprit Tonsard en frappant sur le genou du vieillard. Allez, faites concurrence à mes futailles, rougissez-vous le gosier ! Le père à mame Tonsard en a le droit, et vaut mieux ça que de porter votre argent blanc à Socquard !

— Dire que voilà quinze ans que vous faites danser le monde à Tivoli, sans avoir pu deviner le secret du Vin Cuit de Socquard, vous qui êtes si fin ! dit la fille à son père. Vous savez pourtant bien qu’avec ce secret-là, nous deviendrions aussi riches que Rigou !

Dans le Morvan et dans la partie de la Bourgogne qui s’étale à ses pieds du côté de Paris, ce Vin Cuit, reproché par la Tonsard au père Fourchon, est un breuvage assez cher, qui joue un grand rôle dans la vie des paysans, et que savent faire plus ou moins admirablement les épiciers ou les limonadiers, là où il existe des cafés. Cette benoîte liqueur, composée de vin choisi, de sucre, de cannelle et autres épices, est préférée à tous les déguisements ou mélanges de l’eau-de-vie appelés Ratafiat, Cent-Sept-ans, Eau-des-Braves, Cassis, Vespétro, Esprit de soleil, etc. On retrouve le Vin Cuit jusque sur les frontières de la France et de la Suisse. Dans le Jura,