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Déjà, sans doute, Fourchon avait reconnu l’inutilité d’une lutte entre son terrible gendre, sa fille et lui.

— V’là une bouteille de vin que vous me vendez encore cent sous ! ajouta-t-il d’un ton amer ; mais aussi sera-ce la dernière. Je donnerai ma pratique au Café de la Paix.

— Tais-toi ! papa, reprit la blanche et grasse cabaretière qui ressemblait assez a une matrone romaine, il te faut une chemise, un pantalon propre, un autre chapeau, je veux te voir enfin un gilet…

— Je t’ai déjà dit que ce serait me ruiner, s’écria le vieillard. Quand on me croira riche, personne ne me donnera plus rien.

La bouteille apportée par la blonde Marie arrêta l’éloquence du vieillard, qui ne manquait pas de ce trait particulier à ceux dont la langue se permet de tout dire et dont l’expression ne recule devant aucune pensée, fût-elle atroce.

— Vous ne voulez donc pas nous dire où vous pigez tant de monnaie ?… demanda Tonsard, nous irions aussi, nous autres !…

Tout en finissant un collet, le féroce cabaretier espionnait le pantalon de son beau-père et il y vit bientôt la rondeur dessinée en saillie par la seconde pièce de cinq francs.

— A votre santé ! je deviens capitaliste, dit le père Fourchon.

— Si vous vouliez, vous le seriez, dit Tonsard, vous avez des moyens, vous !… Mais le diable vous a percé au bas de la tête un trou par où tout s’en va !

— Hé ! j’ai fait le tour de la loute à ce petit bourgeois des Aigues qui est venu de Paris, voilà tout !

— S’il venait beaucoup de monde voir les sources d’Avonne, dit Marie, vous seriez riche, papa Fourchon.

— Oui, reprit-il en buvant le dernier verre de sa bouteille ; mais à force de jouer avec les loutes, les loutes se sont mises en colère, et j’en ai pris une qui va me rapporter pus de vingt francs.

— Gageons, papa, que t’as fait une loutre en filasse ?… dit la Tonsard en regardant son père d’un air finaud.

— Si tu me donnes un pantalon, un gilet, des bretelles en lisière pour ne pas trop faire honte à Vermichel, sur notre estrade à Tivoli, car le père Socquard grogne toujours après moi, je te laisse la pièce, ma fille ; ton idée la vaut bien. Je pourrai repincer le bourgeois des Aigues, qui, du coup, va peut-être s’adonner aux loutes !