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IV. Autre idylle

— Ah ! nom de nom ! papa, dit Tonsard en voyant entrer son beau-père et le soupçonnant d’être à jeun, vous avez la gueule hâtive ce matin. Nous n’avons rien à vous donner… Et ste corde ? ste corde que nous devions faire ? C’est étonnant comme vous en fabriquez la veille, et comme vous vous en trouvez peu de fait le lendemain. Il y a longtemps que vous auriez dû tortiller celle qui mettra fin à votre existence, car vous nous devenez beaucoup trop cher…

La plaisanterie du paysan et de l’ouvrier est très-attique, elle consiste à dire toute la pensée en la grossissant par une expression grotesque. On n’agit pas autrement dans les salons. La finesse de l’esprit y remplace le pittoresque de la grossièreté, voilà toute la différence.

— Y a pas de beau-père ! dit le vieillard, parle-moi en pratique, je veux une bouteille du meilleur.

Ce disant, Fourchon frappa d’une pièce de cent sous qui dans sa main brillait comme un soleil, la méchante table à laquelle il s’était assis et que son tapis de graisse rendait aussi curieuse à voir que ses brûlures noires, ses marques vineuses et ses entailles. Au son de l’argent, Marie Tonsard, taillée comme une corvette pour la course, jeta sur son grand-père un regard fauve qui jaillit de ses yeux bleus comme une étincelle. La Tonsard sortit de sa chambre, attirée par la musique du métal.

— Tu brutalises toujours mon pauvre père, dit-elle à Tonsard, il gagne pourtant bien de l’argent depuis un an, Dieu veuille que ce soit honnêtement. Voyons ça ?… dit-elle en sautant sur la pièce et l’arrachant des mains de Fourchon.

— Va, Marie, dit gravement Tonsard, au-dessus de la planche, y a encore du vin bouché.

Dans la campagne le vin n’est que d’une seule qualité, mais il se vend sous deux espèces : le vin au tonneau, le vin bouché.

— D’où ça vous vient-il ? demanda la fille à son père en coulant la pièce dans sa poche.

— Philippine ! tu finiras mal, dit le vieillard en hochant la tête et sans essayer de reprendre son argent.