Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/266

Cette page n’a pas encore été corrigée

remarquablement belles, continuaient les mœurs de leur mère. Enfin l’ancienneté du Grand-I-Vert, qui datait de 1795, en faisait une chose consacrée dans la campagne. Depuis Couches jusqu’à La-Ville-aux-Fayes, les ouvriers y venaient conclure leurs marchés, y apprendre les nouvelles pompées par les filles à Tonsard, par Mouche, par Fourchon, dites par Vermichel, par Brunet, l’huissier le plus en renom à Soulanges, quand il y venait chercher son praticien. Là s’établissaient le prix des foins, des vins, celui des journées et celui des ouvrages à tâches. Tonsard, juge souverain en ces matières, donnait ses consultations, tout en trinquant avec les buveurs. Soulanges, selon le mot du pays, passait pour être uniquement une ville de société, d’amusement, et Blangy était le bourg commercial, écrasé néanmoins par le grand centre de La-Ville-aux-Fayes, devenue en vingt-cinq ans la capitale de cette magnifique vallée. Le marché des bestiaux, des grains, se tenait à Blangy, sur la place, et ses prix servaient de mercuriale à l’Arrondissement.

En restant au logis, la Tonsard était restée fraîche, blanche, potelée, par exception aux femmes des champs, qui passent aussi rapidement que les fleurs, et qui sont déjà vieilles à trente ans. Aussi la Tonsard aimait-elle à être bien mise. Elle n’était que propre, mais au village, cette propreté vaut le luxe. Les filles, mieux vêtues que ne le comportait leur pauvreté, suivaient l’exemple de leur mère. Sous leurs robes presque élégantes relativement, elles portaient du linge plus fin que celui des paysannes les plus riches. Aux jours de fêtes, elles se montraient en jolies toilettes gagnées, Dieu sait comme ! la livrée des Aigues leur vendait, à des prix facilement payés, des robes de femmes de chambre achetées à Paris et qu’elles refaisaient pour elles. Ces deux filles, les bohémiennes de la vallée, ne recevaient pas un liard de leurs parents, qui leur donnaient uniquement la nourriture et les couchaient sur d’affreux grabats avec leur grand’mère dans le grenier où leurs frères couchaient à même le foin, blottis comme des animaux. Ni le père ni la mère ne songeaient à cette promiscuité.

L’âge de fer et l’âge d’or se ressemblent plus qu’on ne le pense. Dans l’un, on ne prend garde à rien ; dans l’autre, on prend garde à tout ; pour la société, le résultat est peut-être le même.