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avec du bois mort, l’intérieur se composait de bois vert coupé souvent parmi les jeunes arbres. A la lettre, Tonsard prenait son bois pour l’hiver dans la forêt des Aigues. Le père et ses deux fils braconnaient continuellement. De septembre en mars, les lièvres, les lapins, les perdrix, les grives, les chevreuils, tout le gibier qui ne se consommait pas au logis, se vendait à Blangy, dans la petite ville de Soulanges, chef-lieu du Canton, où les deux filles de Tonsard fournissaient du lait, et d’où elles rapportaient chaque jour les nouvelles, en y colportant celles des Aigues, de Cerneux et de Couches. Quand on ne pouvait plus chasser, les trois Tonsard tendaient des collets. Si les collets rendaient trop, la Tonsard faisait des pâtés, expédiés à La-Ville-aux-Fayes. Au temps de la moisson, sept Tonsard, la vieille mère, les deux garçons, tant qu’ils n’eurent pas dix-sept ans, les deux filles, le vieux Fourchon et Mouche glanaient, ramassaient près de seize boisseaux par jour, glanant seigle, orge, blé, tout grain bon à moudre.

Les deux vaches, menées d’abord par la plus jeune des deux filles, le long des routes, s’échappaient la plupart du temps dans les prés des Aigues ; mais comme au moindre délit trop flagrant pour que le garde se dispensât de le constater, les enfants étaient ou battus ou privés de quelque friandise, ils avaient acquis une habileté singulière pour entendre les pas ennemis, et presque jamais le garde-champêtre ou le garde des Aigues ne les surprenaient en faute. D’ailleurs, les liaisons de ces dignes fonctionnaires avec Tonsard et sa femme leur mettaient une taie sur les yeux. Les bêtes, conduites par de longues cordes, obéissaient d’autant mieux à un seul coup de rappel, à un cri particulier qui les ramenaient sur le terrain commun qu’elles savaient, le péril passé, pouvoir achever leur lippée chez le voisin. La vieille Tonsard, de plus en plus débile, avait succédé à Mouche depuis que Fourchon gardait son petit-fils naturel avec lui, sous prétexte de soigner son éducation. Marie et Catherine faisaient de l’herbe dans le bois. Elles y avaient reconnu les places où vient ce foin forestier si joli, si fin, qu’elles coupaient, fanaient, bottelaient et engrangeaient ; elles y trouvaient les deux tiers de la nourriture des vaches en hiver qu’on menait d’ailleurs paître pendant les belles journées aux endroits bien connus où l’herbe verdoie. Il y a, dans certains endroits de la vallée des Aigues, comme dans tous les pays dominés par des chaînes de montagnes, des terrains qui donnent, comme