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l’histoire de France, en mille volumes ou un seul. Contentons-nous de deux phrases.

Une roche ventrue et veloutée d’arbres nains, rongée aux pieds par l’Avonne, disposition à laquelle elle doit un peu de ressemblance avec une énorme tortue mise en travers de l’eau, figure une arche, par laquelle le regard embrasse une petite nappe claire comme un miroir, où l’Avonne semble endormie et que terminent au loin des cascades à grosses roches où de petits saules pareils à des ressorts, vont et viennent constamment sous l’effort des eaux.

Au-delà de ces cascades, les flancs de la colline, coupés raide comme une roche du Rhin vêtue de mousses et de bruyères, mais troués comme elle par des arêtes schisteuses, versent çà et là de blancs ruisseaux bouillonnants, auxquels une petite prairie, toujours arrosée et toujours verte, sert de coupe ; puis, comme contraste à cette nature sauvage et solitaire, les derniers jardins de Couches se voient de l’autre côté de ce chaos pittoresque, au bout des prés, avec la masse du village et son clocher.

Voilà les deux phrases, mais le soleil levant, mais la pureté de l’air, mais l’âcre rosée, mais le concert des eaux et des bois ?… devinez-les !

— Ma foi, c’est presque aussi beau qu’à l’Opéra ! se dit Blondet en remontant l’Avonne innavigable dont les caprices faisaient ressortir le canal droit, profond et silencieux de la basse Avonne encaissée par les grands arbres de la forêt des Aigues.

Blondet ne poussa pas très-loin sa promenade matinale, il fut bientôt arrêté par un des paysans qui sont, dans ce drame, des comparses si nécessaires à l’action, qu’on hésitera peut-être entre eux et les premiers rôles.

En arrivant à un groupe de roches où la source principale est serrée comme entre deux portes, le spirituel écrivain aperçut un homme qui se tenait dans une immobilité capable de piquer la curiosité d’un journaliste, si déjà la tournure et l’habillement de cette statue animée ne l’avai(en)t profondément intrigué.

Il reconnut dans cet humble personnage un de ces vieillards affectionnés par le crayon de Charlet, qui tenait aux troupiers de cet Homère des soldats par la solidité d’une charpente habile à porter le malheur, et à ses immortels balayeurs par une figure rougie, violacée, rugueuse, inhabile à la résignation. Un chapeau de