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bien, quand on ne peut pas faire autrement ! " J’ai entendu ce mot touchant dit par lui en parlant de sa femme : — " Non seulement je l’aime, mais je la vénère et l’estime. " Quand il lui prend une de ces colères qui brisent toutes les bondes et s’échappent en cascades indomptables, la petite femme va chez elle et le laisse crier. Seulement, quatre ou cinq jours après : — " Ne vous mettez pas en colère, lui dit-elle, vous pouvez vous briser un vaisseau dans la poitrine, sans compter le mal que vous me faites. " Et alors le lion d’Essling se sauve pour aller essuyer une larme. Quand il se présente au salon, et que nous y sommes occupés à causer : — " Laissez-nous, il me lit quelque chose ", dit-elle, et il nous laisse.

Il n’y a que les hommes forts, grands et colères, de ces foudres de guerre, de ces diplomates à tête olympienne, de ces hommes de génie, pour avoir ces partis pris de confiance, cette générosité pour la faiblesse, cette constante protection, cet amour sans jalousie, cette bonhomie avec la femme. Ma foi ! je mets la science de la comtesse autant au-dessus des vertus sèches et hargneuses que le satin d’une causeuse est préférable au velours d’Utrecht d’un sot canapé bourgeois.

Mon cher, je suis dans cette admirable campagne depuis six jours, et je ne me lasse pas d’admirer les merveilles de ce parc, dominé par de sombres forêts, et où se trouvent de jolis sentiers le long des eaux. La Nature et son silence, les tranquilles jouissances, la vie facile à laquelle elle invite, tout m’a séduit. Oh ! voilà la vraie littérature, il n’y a jamais de faute de style dans une prairie. Le bonheur serait de tout oublier ici, même les Débats. Tu dois deviner qu’il a plu pendant deux matinées. Pendant que la comtesse dormait, pendant que Montcornet courait dans ses propriétés, j’ai tenu par force la promesse si imprudemment donnée, de vous écrire.

Jusqu’alors, quoique né dans Alençon, d’un vieux juge et d’un préfet, à ce qu’on dit, quoique connaissant les herbages, je regardais comme une fable l’existence de ces terres au moyen desquelles on touche par mois quatre à cinq mille francs. L’argent, pour moi, se traduisait par deux horribles mots : le travail et le libraire, le journal et la politique… Quand aurons-nous une terre où l’argent poussera dans quelque joli paysage ? C’est ce que je nous souhaite au nom du Théâtre, de la Presse et du Livre. Ainsi soit-il.