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de belles fleurs baignent leurs pieds dans une eau dormante et verte. A droite et à gauche, cette haie rejoint deux lisières de bois, et la double prairie à laquelle elle sert d’enceinte, a sans doute été conquise par quelque défrichement.

À ces pavillons déserts et poudreux commence une magnifique avenue d’ormes centenaires, dont les têtes en parasol se penchent les unes sur les autres et forment un long, un majestueux berceau. L’herbe croît dans l’avenue ; à peine y remarque-t-on les sillons tracés par les doubles roues des voitures. L’âge des ormes, la largeur de deux contre-allées, la tournure vénérable des pavillons, la couleur brune des chaînes de pierre, tout indique les abords d’un château quasi royal.

Avant d’arriver à cette barrière, du haut d’une de ces éminences que, nous autres Français, nous nommons assez vaniteusement une montagne, et au bas de laquelle se trouve le village de Couches, le dernier relais, j’avais aperçu la longue vallée des Aigues, au bout de laquelle la grande route tourne pour aller droit à la petite sous-préfecture de la Ville-aux-Fayes, où trône le neveu de notre ami des Lupeaulx. D’immenses forêts posées à l’horizon, sur une vaste colline côtoyée par une rivière, dominent cette riche vallée, encadrée au loin par les monts d’une petite Suisse, appelée le Morvan. Ces épaisses forêts appartiennent aux Aigues, au marquis de Ronquerolles et au comte de Soulanges, dont les châteaux et les parcs, dont les villages vus de loin et de haut donnent de la vraisemblance aux fantastiques paysages de Breughel-de-Velours.

Si ces détails ne te remettent pas en mémoire tous les châteaux en Espagne que tu as désiré posséder en France, tu ne serais pas digne de cette narration d’un Parisien stupéfait. J’ai enfin joui d’une campagne où l’art se trouve mêlé à la nature, sans que l’un soit gâté par l’autre, où l’art semble naturel, où la nature est artiste. J’ai rencontré l’oasis que nous avons si souvent rêvée d’après quelques romans : une nature luxuriante et parée, des accidents sans confusion, quelque chose de sauvage et d’ébouriffé, de secret, de pas commun. Enjambe la barrière, et marchons.

Quand mon œil curieux a voulu embrasser l’avenue où le soleil ne pénètre qu’à son lever ou à son coucher, en la zébrant de ses rayons obliques ma vue a été barrée par le contour que