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une consultation de trois médecins, afin de mettre à couvert ma responsabilité, car la malade pourrait mourir.

Le vieillard, accablé de fatigue, tomba sur une chaise et se releva promptement en disant :

— Pardonnez-moi, monsieur. J’ai passé la nuit à vous attendre dans des angoisses affreuses ; car vous ne savez pas à quel point j’aime ma fille, que je garde depuis quinze ans entre la vie et la mort, et c’est un supplice que ces huit jours d’attente !

Le baron sortit du cabinet d’Halpersohn en chancelant comme un homme ivre.

Environ une heure après la sortie de ce vieillard, que le médecin juif avait conduit en le soutenant par le bras jusqu’à la rampe de son escalier, il vit entrer Auguste de Mergi.

En questionnant la portière de la maison de santé, ce pauvre jeune homme venait d’apprendre que le père de la dame amenée la veille était revenu dans la soirée, qu’il l’y avait demandée, et avait parlé d’aller ce matin chez le docteur Halpersohn, et que là sans doute on lui donnerait de ses nouvelles.

Au moment où Auguste de Mergi se présenta dans le cabinet d’Halpersohn, le docteur déjeunait d’une tasse de chocolat, accompagnée d’un verre d’eau, le tout servi sur un petit guéridon ; il ne se dérangea pas pour le jeune homme, et continua de tremper sa mouillette dans le chocolat ; car il ne mangeait pas autre chose qu’une flûte coupée en quatre avec une précision qui prouvait une certaine habileté d’opérateur. Halpersohn avait, en effet, pratiqué la chirurgie dans ses voyages.

— Hé bien ! jeune homme, dit-il, en voyant entrer le fils de Vanda, vous venez aussi me demander compte de votre mère…

— Oui, monsieur, répondit Auguste de Mergi.

Auguste s’était avancé jusqu’à la table où brillèrent tout d’abord à ses yeux plusieurs billets de banque parmi quelques piles de pièces d’or. Dans les circonstances où se trouvait ce malheureux enfant, la tentation fut plus forte que ses principes, quelque solides qu’ils pussent être. Il vit le moyen de sauver son grand-père et les fruits de vingt années de travail menacés par d’avides spéculateurs. Il succomba.

Cette fascination fut rapide comme la pensée et justifiée par une idée de dévouement qui sourit à cet enfant. Il se dit : « Je me perds, mais je sauve ma mère et mon grand-père !… »

Dans cette étreinte de sa raison aux prises avec le crime, il acquit, comme les fous, une singulière et passagère habileté ; car au lieu de donner des nouvelles de son grand-père, il abonda dans le sens du médecin. Halpersohn, comme tous les grands observateurs,