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— Il ira chez eux, pensa Godefroid.

— Et où demeure la malade ? demanda le médecin en se levant comme un homme qui connaissait le prix du temps.

— Venez par ici, monsieur, dit Godefroid en passant le premier pour montrer le chemin.

Le juif examina d’un œil soupçonneux et sagace les lieux par lesquels il passa, car il avait le coup d’œil de l’espion ; aussi vit-il fort bien les horreurs de l’indigence par la porte de la pièce où couchaient le magistrat et son petit-fils ; par malheur, monsieur Bernard était allé prendre le costume avec lequel il paraissait chez sa fille, et dans son empressement à venir ouvrir la porte, il ferma mal celle de son chenil. Il salua noblement Halpersohn, et ouvrit avec précaution la chambre de sa fille.

— Vanda, mon enfant, voici le médecin, dit-il.

Et il se rangea pour laisser passer Halpersohn qui conservait sa pelisse. Le juif fut surpris du contraste de cette pièce, qui, dans ce quartier, dans cette maison surtout, était une anomalie ; mais l’étonnement d’Halpersohn dura peu, car il avait vu souvent, chez les juifs d’Allemagne et de Russie de semblables oppositions entre une excessive misère apparente et des richesses cachées. En marchant de la porte au lit de la malade, il ne cessa de la regarder, et en arrivant à son chevet, il lui dit en polonais :

— Vous êtes Polonaise ?

— Non pas moi, mais ma mère.

— Qui votre grand-père, le général Tarlowski, avait-il épousé ?

— Une Polonaise.

— De quelle province ?

— Une Sobolewska de Pinska.

— Bien. Monsieur est votre père ?

— Oui, monsieur.

— Monsieur, demanda-t-il, madame votre femme…

— Elle est morte, répondit monsieur Bernard.

— Était-elle très-blanche ? dit Halpersohn avec un léger mouvement d’impatience d’être interrompu.

— Voici son portrait, répondit monsieur Bernard en allant décrocher un magnifique cadre où se trouvaient plusieurs belles miniatures. Halpersohn tâtait la tête et maniait la chevelure de la malade, tout en regardant le portrait de Vanda Tarlowska, née comtesse Sobolewska.