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— Ah ! quelle nuit vais-je passer ! C’est un arrêt définitif ! lui dit-il à l’oreille. Ma fille sera guérie ou condamnée !

— Prenez courage, répondit Godefroid ; et, après le thé, venez chez moi.

— Cesse, cesse, ma fille, dit le vieillard, tu te donneras des crises. À ce développement de forces succédera l’abattement.

Il fit enlever l’instrument par Auguste et présenta la tasse de thé destinée à sa fille avec toute la câlinerie d’une nourrice qui veut prévenir l’impatience d’un petit enfant.

— Comment est-il, ce médecin ? demanda-t-elle déjà distraite par la perspective de voir un être nouveau.

Vanda, comme tous les prisonniers, était dévorée de curiosité. Quand les autres phénomènes physiques de sa maladie cessaient, ils semblaient se reporter dans le moral, et alors elle concevait des caprices étranges, des fantaisies violentes. Elle voulait voir Rossini ; elle pleurait de ce que son père, qu’elle croyait tout-puissant, refusait de le lui amener.

Godefroid fit alors une description minutieuse du médecin juif et de son cabinet, car elle ignorait les démarches de son père. Monsieur Bernard avait recommandé le silence à son petit-fils sur ses visites chez Halpersohn, tant il avait craint d’exciter chez sa fille des espérances qui ne se seraient pas réalisées. Vanda restait comme attachée aux paroles qui sortaient de la bouche de Godefroid, elle était charmée, et elle tomba dans une espèce de folie, tant son désir de voir cet étrange Polonais devint ardent.

— La Pologne a souvent fourni de ces êtres singuliers, mystérieux, dit l’ancien magistrat. Aujourd’hui, par exemple, outre ce médecin, nous avons Hoëné Wronski, le mathématicien illuminé, le poëte Mickievicz, Towianski l’inspiré, Chopin au talent surnaturel. Les grandes commotions nationales produisent toujours des espèces de géants tronqués.

— Oh ! cher papa ! quel homme vous êtes ! Si vous mettiez par écrit, tout ce que nous vous entendons dire, seulement pour m’amuser, vous feriez une fortune… car, figurez-vous, monsieur, que mon bon vieux père invente pour moi des histoires admirables lorsque je n’ai plus de romans à lire, et il m’endort ainsi. Sa voix me berce et il calme souvent mes douleurs par son esprit… Qui jamais le récompensera !… Auguste, mon enfant, tu devrais baiser pour moi les marques des pas de ton grand-père.