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maîtres italiens. Les yeux, vert de mer et enchâssés, comme ceux des perroquets, par des membranes grisâtres et froncées, exprimaient la ruse et l’avarice à un degré supérieur. Enfin, la bouche, fendue comme une blessure, ajoutait à cette physionomie sinistre tout le mordant de la défiance.

Cette face pâle et maigre, car Halpersohn était d’une remarquable maigreur, surmontée de cheveux gris mal peignés, avait, pour ornement, une longue barbe très-fournie, noire, mélangée de blanc, qui cachait la moitié du visage, en sorte qu’on n’en voyait que le front, les yeux, le nez, les pommettes et la bouche.

Cet ami du révolutionnaire Lelewel portait une calotte en velours noir qui, mordant par une pointe sur le front, en faisait ressortir la couleur blonde, digne des pinceaux de Rembrandt.

La question que fit ce médecin devenu si célèbre, autant par ses talents que par son avarice, causa quelque surprise à Godefroid, qui se dit en lui-même :

— Me prendrait-il pour un voleur ?

La réponse à cette question se trouvait sur la table et sur la cheminée du docteur. Godefroid croyait arriver le premier, il arrivait le dernier. Les consultants avaient déposé sur la cheminée et sur le bord de la table d’assez grosses offrandes, car Godefroid aperçut des piles de pièces de vingt francs, de quarante francs et deux billets de mille francs. Était-ce là le produit d’une matinée ? Il en douta beaucoup, et il crut à quelque savante invention d’esprit. Peut-être l’avare mais infaillible docteur tenait-il à forcer ainsi ses recettes en laissant croire à ses clients, choisis parmi les riches, qu’on lui donnait des rouleaux au lieu de papillottes.

Moïse Halpersohn devait d’ailleurs être payé largement, car il guérissait, et guérissait précisément les maladies désespérées auxquelles la médecine renonçait. On ignore en Europe que les peuples slaves possèdent beaucoup de secrets ; ils ont une collection de remèdes souverains, fruits de leurs relations avec les Chinois, les Persans, les Cosaques, les Turcs et les Tartares. Certaines paysannes, qui passent pour sorcières, guérissent radicalement la rage en Pologne, avec des sucs d’herbe. Il existe dans ce pays un corps d’observations sans code, sur les effets de certaines plantes, de quelques écorces d’arbres réduites en poudre, que l’on se transmet de famille en famille, et il s’y fait des cures miraculeuses.