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un espion dans la mère Vauthier ; mais les conditions, voyons ?… dites-les nettement.

— On m’a prêté quinze cents francs, représentés aujourd’hui par trois lettres de change de mille francs, et ces trois mille francs sont hypothéqués par un traité sur la propriété de mon ouvrage, dont je ne peux disposer qu’en remboursant les lettres de change, et les lettres de change sont protestées, il y a jugement contradictoire… Voilà, monsieur, les complications de la misère… Dans la plus modeste évaluation, la première édition de cette œuvre immense, l’œuvre de dix ans de travaux et de trente-six ans d’expérience, vaudrait bien dix mille francs… Eh bien, il y a cinq jours, Morand me proposait mille écus et mes lettres de change acquittées pour la toute propriété… Comme je ne saurais trouver trois mille deux cent quarante francs, il faudra, si vous ne vous interposez entre eux et moi, leur céder… Ils ne se sont pas contentés de mon honneur ! ils ont voulu, pour plus de garantie, des lettres de change protestées, et arrivées à l’exercice de la contrainte par corps. Si je rembourse, ces usuriers auront doublé leurs fonds ; si je traite, ils auront une fortune, car l’un d’eux est un ancien marchand de papier, et Dieu sait combien ils peuvent restreindre les frais de la fabrication ! Et comme ils ont mon nom, ils savent que le placement de mille exemplaires est assuré.

— Comment, monsieur, vous, ancien magistrat !…

— Que voulez-vous ? pas un ami ! pas un souvenir !… Et j’ai sauvé bien des têtes, si j’en ai fait tomber !… Enfin ! ma fille, ma fille, de qui je suis la garde-malade ! à qui je tiens compagnie, car je ne travaille que pendant la nuit… Ah ! jeune homme, il n’y a que les malheureux qui puissent être les juges de la misère… Aujourd’hui je trouve que jadis j’étais trop sévère.

— Monsieur, je ne vous demande pas votre nom. Je ne puis pas disposer de mille écus, surtout en payant Halpersohn et vos petites dettes ; mais je vous sauverai si vous jurez de ne pas disposer de votre ouvrage sans que j’en sois averti ; car il est impossible de faire une affaire aussi importante que celle-là sans consulter les gens du métier. Mes patrons sont puissants, et je puis vous promettre le succès si vous pouvez me promettre le plus profond secret, même avec vos enfants, et me tenir votre promesse…

— Le seul succès que je veuille obtenir, c’est la santé de ma pauvre Vanda ; car, monsieur, de telles souffrances, dans le cœur