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Godefroid fit un geste qui pouvait s’interpréter par une affirmation, tout aussi bien que par une négation.

— Après cet accouchement terrible, laborieux, reprit monsieur Bernard, un accouchement, monsieur, qui fit une impression si violente sur mon gendre, qu’il a commencé la mélancolie dont il est mort, ma fille, deux ou trois mois après, se plaignit d’une faiblesse générale qui affectait particulièrement les pieds, lesquels, selon son expression, lui paraissaient être comme du coton. Cette atonie s’est changée en paralysie ; mais quelle paralysie, monsieur ! On peut plier les pieds à ma fille sous elle, les tordre sans qu’elle le sente. Le membre existe, et n’a en apparence ni sang, ni muscles, ni os. Cette affection, qui ne se rapporte à rien de connu, a gagné les bras, les mains, et nous avons cru à quelque maladie de l’épine dorsale. Médecine et remèdes n’ont fait qu’empirer cet état, et ma pauvre fille ne pouvait plus bouger sans se démettre, soit les reins, soit les épaules ou les bras. Nous avons eu pendant longtemps, chez nous, un excellent chirurgien, presque à demeure, occupé, de concert avec le médecin ou les médecins (car il nous en est venu par curiosité), à remettre les membres à leur place… le croiriez-vous, monsieur ? trois ou quatre fois par jour !… Ah !… Cette maladie a tant de formes, que j’oubliais de vous dire que, durant la période de faiblesse, avant la paralysie des membres, il s’est manifesté chez ma fille les cas de catalepsie les plus bizarres… Vous savez ce qu’est la catalepsie. Ainsi, elle restait les yeux ouverts, immobiles, quelques jours, dans la position où cet état la prenait. Elle a subi les faits les plus monstrueux de cette affection, et elle a eu jusqu’à des attaques de tétanos. Cette phase de la maladie m’a suggéré l’idée d’employer le magnétisme à sa guérison, lorsque je la vis paralysée si singulièrement. Ma fille, monsieur, fut d’une clairvoyance miraculeuse ; son âme a été le théâtre de tous les prodiges du somnambulisme, comme son corps est le théâtre de toutes les maladies…

Godefroid se demanda en lui-même si le vieillard avait toute sa raison.

— Vraiment, moi, qui, nourri de Voltaire, de Diderot et d’Helvétius, suis un enfant du dix-huitième siècle, dit-il, en continuant, sans faire attention à l’expression des yeux de Godefroid, qui suis un fils de la Révolution, je me moquais de tout ce que l’Antiquité et le Moyen-Âge racontent des possédés ; eh bien, monsieur, la possession