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car sa mère est morte à la peine… Ah ! vous êtes venu, jeune homme, dans le moment où le vieil arbre qui n’a jamais plié sent la hache de la misère, aiguisée par la douleur, entamer le cœur… Et moi, qui n’ai jamais proféré de plaintes, je vais vous parler de cette maladie, afin de vous empêcher de venir dans cette maison, ou, si vous persistez, pour vous montrer la nécessité de ne pas troubler notre repos… En ce moment, monsieur, ma fille aboie comme un chien, jour et nuit…

— Elle est folle ! dit Godefroid.

— Elle a toute sa raison, et c’est une sainte, répondit le vieillard. Vous allez tout à l’heure croire que je suis fou, quand je vous aurai tout dit. Monsieur, ma fille unique est née d’une mère qui jouissait d’une excellente santé. Je n’ai dans ma vie aimé qu’une seule femme, c’était la mienne ; je l’ai choisie. J’ai fait un mariage d’inclination en épousant la fille d’un des plus braves colonels de la garde impériale, un Polonais, ancien officier d’ordonnance de l’empereur, le brave général Tarlowski. Les fonctions que j’exerçais exigent une grande pureté de mœurs ; mais je n’ai pas le cœur fait à loger beaucoup de sentiments, et j’ai fidèlement aimé ma femme, qui méritait un pareil amour. Je suis père comme j’ai été mari, c’est tout vous dire en un mot. Ma fille n’a jamais quitté sa mère, et jamais enfant n’a vécu plus chastement, plus chrétiennement que cette chère fille. Elle est née plus que jolie, belle ; et son mari, jeune homme des mœurs duquel j’étais sûr, car il était le fils d’un de mes amis, un président de Cour royale, n’a pu, certes, contribuer en rien à la maladie de ma fille.

Godefroid et monsieur Bernard firent une pause involontaire en se regardant tous deux.

— Le mariage, vous le savez, change quelquefois beaucoup les jeunes personnes, reprit le vieillard. La première grossesse s’est bien passée, et a produit un fils, mon petit-fils, qui demeure avec moi maintenant, seul rejeton de deux familles qui se sont alliées. La seconde grossesse fut accompagnée de symptômes si extraordinaires, que les médecins, étonnés tous, les ont attribués à la bizarrerie des phénomènes qui se manifestent quelquefois dans cet état, et qu’ils consignent aux fastes de la science. Ma fille accoucha d’un enfant mort, et, à la lettre, tordu, étouffé par des mouvements intérieurs. La maladie commençait, la grossesse n’y était pour rien… Peut-être êtes-vous étudiant en médecine ?