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violent intérêt et d’une curiosité que sa mission de bienfaisance aiguillonnait encore.

— Monsieur, si j’étais sûr que vous cherchiez le silence et la retraite, je vous dirais : Logez-vous près de moi, reprit le vieillard en continuant. — Louez cet appartement, dit-il en élevant la voix de manière à se faire entendre de la Vauthier qui passait et qui l’écoutait en effet. Je suis père, monsieur, et je n’ai plus au monde que ma fille et son fils pour m’aider à supporter les misères de la vie ; or, ma fille a besoin de silence et d’une absolue tranquillité… Tous ceux qui sont venus jusqu’à présent pour se loger dans l’appartement que vous voulez prendre, se sont rendus aux raisons et à la prière d’un père au désespoir ; il leur était indifférent de se loger dans telle ou telle rue d’un quartier vraiment désert, et où les logements à bon marché ne manquent pas plus que les pensions à des prix modérés. Mais je vois en vous une volonté bien arrêtée, et, je vous en supplie, monsieur, ne me trompez pas ; car, autrement, je serais forcé de partir, et d’aller hors barrière… D’abord, un déménagement peut me coûter la vie de ma fille, dit-il d’une voix altérée ; puis, ô qui sait si les médecins qui déjà viennent voir ma fille pour l’amour de Dieu, voudront passer les barrières !…

Si cet homme avait pu pleurer, il aurait eu les joues couvertes de larmes en disant ces dernières paroles ; mais, selon une expression devenue aujourd’hui vulgaire, il eut des larmes dans la voix, et se couvrit le front de sa main, qui ne laissait voir que des os et des muscles.

— Quelle maladie a donc madame votre fille ? demanda Godefroid d’un air insinuant et sympathique.

— Une maladie terrible à laquelle les médecins donnent tous les noms, ou, pour mieux dire, qui n’a pas de nom… Ma fortune a passé… Il se reprit pour dire avec un de ces gestes qui n’appartiennent qu’aux malheureux : Le peu d’argent que j’avais, car je me suis trouvé sans fortune en 1830, renversé d’une haute position, enfin tout ce que je possédais a été dévoré promptement par ma fille, qui déjà, monsieur, avait ruiné sa mère et la famille de son mari… Aujourd’hui, la pension que je touche suffit à peine à payer les nécessités de l’état où se trouve ma pauvre sainte fille… Elle a usé chez moi la faculté de pleurer… J’ai subi mille tortures. Monsieur, je suis de granit pour n’être pas mort, ou, plutôt, Dieu conserve le père à l’enfant pour qu’elle ait une garde, une providence,