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avidités de tout genre. Les chercheurs de mondes ignorent que l’association a des mondes à donner.

En marchant dans les rues, Godefroid se sentait un tout autre homme. Qui l’eût pu pénétrer, aurait admiré le phénomène curieux de la communication du pouvoir collectif. Ce n’était plus un homme, mais bien un être décuplé, se sachant le représentant de cinq personnes dont les forces réunies appuyaient ses actions, et qui marchaient avec lui. Portant ce pouvoir dans son cœur, il éprouvait une plénitude de vie, une puissance noble qui l’exaltait. Ce fut, comme il le dit plus tard, l’un des plus beaux moments de son existence ; car il jouissait d’un sens nouveau, celui d’une omnipotence plus certaine que celle des despotes. Le pouvoir moral est comme la pensée, sans limites.

— Vivre pour autrui, se dit-il, agir en commun comme un seul homme, et agir à soi seul comme tous ensemble ! avoir pour chef la Charité, la plus belle, la plus vivante des figures idéales que nous avons faite des vertus catholiques, voilà vivre ! Allons, réprimons cette joie puérile, et dont rirait le père Alain. N’est-ce pas singulier, cependant, se dit-il, que ce soit en voulant m’annuler, que j’aie trouvé ce pouvoir tant désiré depuis si longtemps ? Le monde des malheureux va m’appartenir !

Il fit le trajet du cloître Notre-Dame à l’avenue de l’Observatoire dans une telle exaltation, qu’il ne s’aperçut point de la longueur du chemin.

Arrivé rue Notre-Dame-des-Champs, dans la partie aboutissant à la rue de l’Ouest, qui, ni l’une ni l’autre, n’étaient encore pavées à cette époque, il fut surpris de trouver de tels bourbiers dans un endroit si magnifique. On ne marchait alors que le long des enceintes en planches qui bordaient des jardins marécageux, ou le long des maisons, par d’étroits sentiers bientôt gagnés par des eaux stagnantes, qui les convertissaient en ruisseaux.

À force de chercher, il finit par trouver la maison indiquée, et il y arriva non sans peine. C’était évidemment une ancienne fabrique abandonnée. Le bâtiment, assez étroit, se présentait comme une longue muraille percée de fenêtres, sans aucun ornement ; mais ces ouvertures carrées n’existaient pas au rez-de-chaussée, où l’on ne voyait qu’une misérable porte bâtarde.

Godefroid supposa que le propriétaire avait ménagé de petits logements dans ce local, pour en tirer parti ; car il y avait au-dessus