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mais Godefroid ne fit aucune allusion à la cause de son absence ; il ne fut pas questionné non plus sur la mission que le vieillard lui avait confiée, il reçut ainsi sa première leçon de discrétion. Néanmoins, après le déjeuner, il prit à part madame de La Chanterie, et lui dit qu’il allait être absent pour quelques jours.

— Bien, mon enfant ! lui répondit madame de La Chanterie, tâchez de faire honneur à votre parrain, car monsieur Alain a répondu de vous à ses frères.

Godefroid dit adieu aux trois autres frères, qui lui firent un salut affectueux, par lequel ils semblaient bénir son début dans cette pénible carrière.

L’association, une des plus grandes forces sociales et qui a fait l’Europe du Moyen-Âge, repose sur des sentiments qui, depuis 1792, n’existent plus en France, où l’individu a triomphé de l’État. L’association exige d’abord une nature de dévouement qui n’y est pas comprise, puis une foi candide contraire à l’esprit de la nation, enfin, une discipline contre laquelle tout regimbe, et que la Religion catholique peut seule obtenir. Dès qu’une association se forme dans notre pays, chaque membre, en rentrant chez soi d’une assemblée où les plus beaux sentiments ont éclaté, pense à faire litière de ce dévouement collectif, de cette réunion de forces, et il s’ingénie à traire à son profit la vache commune, qui, ne pouvant suffire à tant d’adresse individuelle, meurt étique.

On ne sait pas combien de sentiments généreux ont été flétris, combien de germes ardents ont péri, combien de ressorts ont été brisés, perdus pour le pays, par les infâmes déceptions de la charbonnerie française, par les souscriptions patriotiques du Champ-d’Asile, et autres tromperies politiques qui devaient être de grands, de nobles drames, et qui ne furent que des vaudevilles de police correctionnelle. Il en fut des associations industrielles, comme des associations politiques. L’amour de soi s’est substitué à l’amour du Corps collectif. Les corporations et les Hanses du Moyen-Âge, auxquelles on reviendra, sont impossibles encore ; aussi les seules SOCIÉTÉS qui subsistent sont-elles des institutions religieuses auxquelles on fait la plus rude guerre en ce moment, car la tendance naturelle des malades est de s’attaquer aux remèdes et souvent aux médecins. La France ignore l’abnégation. Aussi, toute association ne peut-elle vivre que par le sentiment religieux, le seul qui dompte les rébellions de l’esprit, les calculs de l’ambition et les