Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/142

Cette page n’a pas encore été corrigée

toujours comme les agents d’une personne pieuse, sainte (ne travaillons-nous pas pour Dieu ?), afin qu’on ne se croie pas obligé à de la reconnaissance envers nous ou qu’on ne nous prenne point pour des personnages riches. L’humilité vraie, sincère, et non la fausse humilité des gens qui s’effacent pour être mis en lumière, doit vous inspirer et régir toutes vos pensées… Vous pouvez être content d’avoir réussi ; mais tant que vous sentirez en vous un mouvement de vanité, d’orgueil, vous ne serez pas digne d’entrer dans l’Ordre. Nous avons connu deux hommes parfaits, l’un qui fut un de nos fondateurs, le juge Popinot ; quant à l’autre, qui s’est révélé par ses œuvres, c’est un médecin de campagne qui a laissé son nom écrit dans un canton. Celui-ci, mon cher Godefroid, est un des plus grands hommes de notre temps ; il a fait passer toute une contrée de l’état sauvage à l’état prospère, de l’état irréligieux à l’état catholique, de la barbarie à la civilisation. Le nom de ces deux hommes sont gravés dans nos cœurs, et nous nous les proposons comme modèles. Nous serions bien heureux si nous pouvions avoir un jour sur Paris l’influence que ce médecin de campagne a eue sur son canton. Mais ici, la plaie est immense, au-dessus de nos forces, quant à présent. Que Dieu nous conserve longtemps Madame, qu’il nous envoie quelques aides comme vous, et peut-être laisserons-nous une institution qui fera bénir sa sainte religion. Allons, adieu… Votre initiation commence… Ah ! je suis bavard comme un professeur, et j’oublie l’essentiel. Tenez, voici l’adresse de cette famille, dit-il en remettant à Godefroid un carré de papier ; j’y ai ajouté le numéro de la maison où demeure monsieur Berton, rue d’Enfer… Maintenant, allez prier Dieu qu’il vous vienne en aide.

Godefroid prit les mains du bon vieillard, et les lui serra tendrement, en lui souhaitant le bonsoir, et lui protestant de ne manquer à aucune de ses recommandations.

— Tout ce que vous m’avez dit, ajouta-t-il, est gravé dans ma mémoire pour toute ma vie…

Le vieillard sourit, sans exprimer aucun doute, et se leva pour aller s’agenouiller à son prie-Dieu. Godefroid rentra dans sa chambre, joyeux de participer enfin aux mystères de cette maison, et d’avoir une occupation qui, dans la disposition d’âme où il se trouvait, devenait un plaisir.

Le lendemain matin, au déjeuner, le bonhomme Alain manquait,