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ferveur ! s’écria Godefroid. Moi aussi, je veux passer ma vie à bien faire…

— C’est le secret de rester en Dieu, répliqua le bonhomme. Avez-vous étudié cette devise : Transire benefaciendo ? Transire veut dire aller au-delà de ce monde, en y laissant une longue traînée de bienfaits.

— J’ai bien compris, et j’ai mis de moi-même la devise de l’Ordre devant mon lit.

— C’est bien ! Cette action, si légère en elle-même, est beaucoup à mes yeux ! Donc, mon enfant, j’ai votre première affaire, votre premier duel avec la misère, et je vais vous mettre le pied à l’étrier… Nous allons nous quitter… Oui, moi-même je suis détaché du couvent pour prendre place au cœur d’un volcan. Je vais devenir contre-maître dans une grande fabrique dont tous les ouvriers sont infectés des doctrines communistes, et qui rêvent une destruction sociale, l’égorgement des maîtres, sans savoir que ce serait la mort de l’industrie, du commerce, des fabriques…Je resterai là, qui sait ? peut-être un an, à tenir la caisse, les livres, et à pénétrer dans cent ou cent vingt ménages de pauvres gens égarés sans doute par la misère, avant de l’être par de mauvais livres. Néanmoins, nous nous verrons ici tous les dimanches et les jours de fête. Comme nous habiterons le même quartier, je vous indique l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas comme lieu de rendez-vous ; j’y entendrai la messe tous les jours, à sept heures et demie du matin. Si vous me rencontrez ailleurs, vous ne me reconnaîtrez jamais, à moins que vous ne me voyiez me frotter les mains à la façon des gens satisfaits. C’est un de nos signes. Nous avons, comme les sourds-muets, un langage par gestes, dont la nécessité vous sera bientôt et surabondamment démontrée.

Godefroid fit un geste que le bonhomme Alain interpréta, car il sourit et reprit aussitôt la parole.

— Maintenant, voici votre affaire. Nous n’exerçons ni la bienfaisance, ni la philanthropie que vous connaissez, et qui se divisent en plusieurs branches exploitées par des filous de probité comme autant de commerces ; mais nous pratiquons la charité telle que l’a définie notre grand et sublime saint Paul ; car, mon enfant, nous pensons que la Charité peut seule panser les plaies de Paris. Ainsi, pour nous, le malheur, la misère, la souffrance, le chagrin, le mal de quelque cause qu’ils procèdent, dans quelque classe sociale qu’ils se manifestent,