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du bon Dieu, de vieux juges dont le code ne contient que des absolutions, des docteurs en toute souffrance dont l’unique remède est l’argent sagement employé. Mais, voyez-vous, mon enfant, nous ne querellons pas les motifs qui nous amènent un néophyte, pourvu qu’il nous reste et qu’il devienne un frère de notre Ordre. Nous vous jugerons à l’œuvre. Il y a deux curiosités, celle du bien et celle du mal ; vous avez en ce moment la bonne. Si vous devez être un ouvrier de notre vigne, le jus des grappes vous donnera la soif perpétuelle du fruit divin. L’initiation est, comme en toute science naturelle, facile en apparence et difficile en réalité. C’est en bienfaisance comme en poésie. Rien de plus facile que d’attraper l’apparence. Mais ici, comme au Parnasse, nous ne nous contentons que de la perfection. Pour devenir un des nôtres, vous devez acquérir une grande science de la vie, et de quelle vie, bon Dieu ! la vie parisienne qui défie la sagacité de monsieur le préfet de police et de ses messieurs. N’avons-nous pas à déjouer la conspiration permanente du mal ? à la saisir dans ses formes si changeantes qu’on les croirait infinies ? La Charité, dans Paris, doit être aussi savante que le vice, de même que l’agent de police doit être aussi rusé que le voleur. Chacun de nous doit être candide et défiant ; avoir le jugement sûr et rapide autant que le coup d’œil. Aussi, mon enfant, sommes-nous tous vieux et vieillis ; mais nous sommes si contents des résultats que nous avons obtenus, que nous ne voulons pas mourir sans laisser de successeurs ; et vous nous êtes d’autant plus cher à tous, que vous serez, si vous persistez, notre premier élève. Il n’y a pas de hasard pour nous, nous vous devons à Dieu ! Vous êtes une bonne nature aigrie ; et depuis que vous demeurez ici, les mauvais levains se sont affaiblis. La nature divine de Madame a réagi sur vous. Hier, nous avons tenu conseil ; et, puisque j’ai votre confiance, mes bons frères ont décidé de me donner à vous comme tuteur et instituteur… Êtes-vous content ?

— Ah ! mon bon monsieur Alain ! vous avez éveillé par votre éloquence une…

— Ce n’est pas moi, mon enfant, qui parle bien, c’est les choses qui sont éloquentes… On est toujours sûr d’être grandiose en obéissant à Dieu, en imitant Jésus-Christ, autant que des hommes le peuvent, aidés par la foi…

— Eh bien ! ce moment a décidé de ma vie, et je me sens la