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l’esprit, après s’être sondé le cœur, avoir consulté ses forces, Godefroid monta chez le bon vieil Alain, celui que madame de La Chanterie nommait son agneau, celui qui, de tous les commensaux du logis, lui semblait le moins imposant, le plus abordable, dans l’intention d’obtenir du bonhomme quelques lumières sur les conditions du sacerdoce que ces espèces de frères en Dieu exerçaient dans Paris. Les allusions déjà faites à un temps d’épreuves lui pronostiquaient une initiation à laquelle il s’attendait. Sa curiosité n’avait pas été contentée par ce que lui avait dit le vénérable vieillard sur les motifs de son agrégation à l’œuvre de madame de La Chanterie ; il voulait en savoir davantage.

Pour la troisième fois, Godefroid se trouva devant le bonhomme Alain, à dix heures et demie du soir, au moment où le vieillard allait faire sa lecture de l’Imitation. Cette fois, le doux initiateur ne put retenir un sourire, et voyant le jeune homme, il lui dit, sans le laisser parler :

— Pourquoi vous adressez-vous à moi, mon cher garçon, au lieu de vous adresser à Madame ? Je suis le plus ignorant, le moins spirituel, le plus imparfait de la maison. Voici trois jours que Madame et mes amis lisent dans votre cœur, ajouta-t-il d’un petit air fin.

— Et qu’ont-ils vu ?… demanda Godefroid.

— Ah ! répondit le bonhomme sans aucun détour, ils ont deviné chez vous une envie assez naïve d’appartenir à notre petit troupeau. Mais ce sentiment n’est pas encore chez vous une bien ardente vocation. Oui, reprit-il vivement à un geste de Godefroid, vous avez plus de curiosité que de ferveur. Enfin, vous n’êtes pas tellement détaché de vos anciennes idées, que vous n’ayez entrevu je ne sais quoi d’aventureux, de romanesque, comme on dit, dans les incidents de notre vie…

Godefroid ne put s’empêcher de rougir.

— Vous voyez dans nos occupations une similitude avec celles des califes des Mille et une Nuits, et vous éprouvez par avance une sorte de satisfaction à jouer le rôle d’un bon génie dans les romans de bienfaisance que vous vous plaisez à inventer !… Allons, mon fils, votre rire de confusion me prouve que nous ne nous sommes pas trompés. Comment croyez-vous pouvoir dérober un sentiment à des gens dont le métier est de deviner les mouvements les plus cachés des âmes, les ruses de la pauvreté, les calculs de l’indigence, et qui sont des espions honnêtes, chargés de la police