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rire superbement. Et, se dit-il, ils me croient, ils obéissent à mes révélations, et ils me laisseront à ma place. Je régnerai toujours sur ce monde, qui, depuis vingt-cinq ans, m’obéit…

Jacques Collin avait usé de cette suprême puissance qu’il exerça jadis sur la pauvre Esther ; car il possédait, comme on l’a vu maintes fois, cette parole, ces regards, ces gestes qui domptent les fous, et il avait montré Lucien comme ayant emporté l’image de la comtesse avec lui.

Aucune femme ne résiste à l’idée d’être aimée uniquement.

— Vous n’avez plus de rivale ! fut le dernier mot de ce froid railleur.

Il resta pendant une heure entière, oublié, là, dans ce salon. Monsieur de Grandville vint et le trouva sombre, debout, perdu dans une rêverie comme en doivent avoir ceux qui font un dix-huit brumaire dans leur vie.

Le procureur général alla jusqu’au seuil de la chambre de la comtesse, il y passa quelques instants ; puis il vint à Jacques Collin et lui dit :

— Persistez-vous dans vos intentions ?

— Oui, monsieur.

— Eh ! bien, vous remplacerez Bibi-Lupin, et le condamné Calvi aura sa peine commuée.

— Il n’ira pas à Rochefort ?

— Pas même à Toulon, vous pourrez l’employer dans votre service ; mais ces grâces et votre nomination dépendent de votre conduite pendant six mois que vous serez adjoint à Bibi-Lupin.




En huit jours, l’adjoint de Bibi-Lupin fit recouvrer quatre cent mille francs à la famille Crottat, livra Ruffard et Godet.

Le produit de l’inscription de rentes vendues par Esther Gobseck fut trouvé dans le lit de la courtisane, et monsieur de Sérisy fit attribuer à Jacques Collin les trois cent mille francs qui lui étaient légués par le testament de Lucien de Rubempré.