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toujours aimée, malgré ses rigueurs, pouvait lui rendre la raison.

Si Jacques Collin était un grand général pour les forçats, il faut avouer qu’il n’était pas moins un grand médecin des âmes. Ce fut une honte à la fois et une espérance que l’arrivée de cet homme dans les appartements de l’hôtel de Sérisy. Plusieurs personnes, le comte, les médecins étaient dans le petit salon qui précédait la chambre à coucher de la comtesse ; mais, pour éviter toute tache à l’honneur de son âme, le comte de Bauvan renvoya tout le monde, et resta seul avec son ami. Ce fut un coup sensible déjà pour le vice-président du conseil d’État, pour un membre du conseil privé, que de voir entrer ce sombre et sinistre personnage.

Jacques Collin avait changé d’habits. Il était mis en pantalon et en redingote de drap noir, et sa démarche, ses regards, ses gestes, tout fut d’une convenance parfaite. Il salua les deux hommes d’État, et demanda s’il pouvait entrer dans la chambre de la comtesse.

— Elle vous attend avec impatience, dit monsieur de Bauvan.

— Avec impatience ?… Elle est sauvée, dit ce terrible fascinateur. En effet, après une conférence d’une demi-heure, Jacques Collin ouvrit la porte et dit : « Venez, monsieur le comte, vous n’avez plus aucun événement fatal à redouter ».

La comtesse tenait la lettre sur son cœur ; elle était calme, et paraissait réconciliée avec elle-même. À cet aspect, le comte laissa échapper un geste de bonheur.

— Les voilà donc, ces gens qui décident de nos destinées et de celles des peuples ! pensa Jacques Collin, qui haussa les épaules quand les deux amis furent entrés. Un soupir poussé de travers par une femelle leur retourne l’intelligence comme un gant ! Ils perdent la tête pour une œillade ! Une jupe mise un peu plus haut, un peu plus bas, et ils courent par tout Paris au désespoir. Les fantaisies d’une femme réagissent sur tout l’État ! Oh ! combien de force acquiert un homme quand il s’est soustrait, comme moi, à cette tyrannie d’enfant, à ces probités renversées par la passion, à ces méchancetés candides, à ces ruses de sauvage ! La femme, avec son génie de bourreau, ses talents pour la torture, est et sera toujours la perte de l’homme. Procureur général, ministre, les voilà tous aveuglés, tordant tout pour des lettres de duchesse ou de petites filles, ou pour la raison d’une femme qui sera plus folle avec son bon sens qu’elle ne l’était sans sa raison. Il se mit à sou-