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ciés, bien récompensés, et vous agirez à votre aise. La police politique et gouvernementale a ses périls. J’ai déjà, tel que vous me voyez, été deux fois emprisonné… je ne m’en porte pas plus mal. Mais, on voyage ! on est tout ce qu’on veut être… On est le machiniste des drames politiques, on est traité poliment par les grands seigneurs… Voyez, mon cher Jacques Collin, cela vous va-t-il ?

— Avez-vous des ordres à cet égard ? lui dit le forçat.

— J’ai plein pouvoir… répliqua Corentin, tout heureux de cette inspiration.

— Vous badinez, vous êtes un homme très fort, vous pouvez bien admettre qu’on se puisse défier de vous… Vous avez vendu plus d’un homme en le liant dans un sac et l’y faisant entrer de lui-même… Je connais vos belles batailles, l’affaire Montauran, l’affaire Simeuse… Ah ! c’est les batailles de Marengo de l’espionnage.

— Eh ! bien, dit Corentin, vous avez de l’estime pour monsieur le procureur général ?

— Oui, dit Jacques Collin en s’inclinant avec respect ; je suis en admiration devant son beau caractère, sa fermeté, sa noblesse, et je donnerais ma vie pour qu’il fût heureux. Aussi, commencerai-je par faire cesser l’état dangereux dans lequel est madame de Sérisy.

Le procureur général laissa échapper un mouvement de bonheur.

— Eh ! bien, demandez-lui, reprit Corentin, si je n’ai pas plein pouvoir pour vous arracher à l’état honteux dans lequel vous êtes, et vous attacher à ma personne.

— C’est vrai, dit monsieur de Grandville en observant le forçat.

— Bien vrai ! j’aurais l’absolution de mon passé et la promesse de vous succéder en vous donnant des preuves de mon savoir-faire ?

— Entre deux hommes comme nous, il ne peut y avoir aucun malentendu, reprit Corentin avec une grandeur d’âme à laquelle tout le monde eût été pris.

— Et le prix de cette transaction est sans doute la remise des trois correspondances ?… dit Jacques Collin.

— Je ne croyais pas avoir besoin de vous le dire…

— Mon cher monsieur Corentin, dit Trompe-la-Mort avec une ironie digne de celle qui fit le triomphe de Talma dans le rôle de Nicomède, je vous remercie, je vous ai l’obligation de savoir tout ce que je vaux et quelle est l’importance qu’on attache à me priver de ces armes… Je ne l’oublierai jamais… Je serai toujours et