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pour causer, pour me cacher. J’ai besoin d’une femme discrète pour porter une lettre, se charger d’une commission. Tu seras une de mes boîtes à lettres, une de mes loges de portiers, un de mes émissaires, rien de plus, rien de moins. Tu es trop blonde, Auguste et moi nous te nommions la Rousse, tu garderas ce nom-là. Ma tante, la marchande au Temple, avec qui je te lierai, sera la seule personne au monde à qui tu devras obéir ; dis-lui tout ce qui t’arrivera ; elle te mariera, elle te sera très utile.

Ce fut ainsi que se conclut un de ces pactes diaboliques dans le genre de celui qui, pendant si longtemps, lui avait lié Prudence Servien, et que cet homme ne manquait jamais à cimenter ; car il avait, comme le démon, la passion du recrutement.

Jacqueline Collin avait marié la Rousse au premier commis d’un riche quincaillier en gros, vers 1821. Ce premier commis, ayant traité de la maison de commerce de son patron, se trouvait alors en voie de prospérité, père de deux enfants, et adjoint au maire de son quartier. Jamais la Rousse, devenue madame Prélard, n’avait eu le plus léger motif de plainte, ni contre Jacques Collin, ni contre sa tante ; mais, à chaque service demandé, madame Prélard tremblait de tous ses membres. Aussi devint-elle pâle et blême en voyant entrer dans sa boutique ces deux terribles personnages.

— Nous avons à vous parler d’affaires, madame, dit Jacques Collin.

— Mon mari est là, répondit-elle.

— Eh ! bien, nous n’avons pas trop besoin de vous pour le moment ; je ne dérange jamais inutilement les gens.

— Envoyez chercher un fiacre, ma petite, dit Jacqueline Collin, et dites à ma filleule de descendre ; j’espère la placer comme femme de chambre chez une grande dame, et l’intendant de la maison veut l’emmener.

Paccard, qui ressemblait à un gendarme mis en bourgeois, causait en ce moment avec monsieur Prélard d’une importante fourniture de fil de fer pour un pont.

Un commis alla chercher un fiacre, et quelques minutes après, Europe, ou pour lui faire quitter le nom sous lequel elle avait servi Esther, Prudence Servien, Paccard, Jacques Collin et sa tante étaient, à la grande joie de la Rousse, réunis dans un fiacre, à qui Trompe-la-Mort donna l’ordre d’aller à la barrière d’Ivry.