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tableau de l’île Sainte-Hélène, inspiration toute dantesque.

Mais, si vous ne saisissez pas ce premier bonheur de génération mentale, et que vous laissiez sans produit ce sublime paroxysme de l’intelligence fouettée, pendant lequel les angoisses de l’enfantement disparaissent sous les plaisirs de la surexcitation cérébrale, vous tombez soudain dans le gâchis des difficultés : tout s’abaisse, tout s’affaisse ; vous vous blasez ; le sujet s’amollit ; vos idées vous fatiguent. Le fouet de Louis XIV14, que vous aviez naguère pour mener votre sujet en poste, a passé aux mains de ces fantasques créatures ; alors, ce sont vos idées qui vous brisent, vous lassent, vous sanglent des coups sifflants aux oreilles, et contre lesquels vous regimbez. Voilà le poète, le peintre, le musicien qui se promène, flâne sur les boulevards, marchande des cannes, achète de vieux bahuts, s’éprend de mille passions fugaces, laissant là son idée, comme on abandonne une maîtresse plus aimante ou plus jalouse qu’il ne lui est permis de l’être.

Vient le dernier âge de la pensée. Elle s’est implantée, elle a pris racine dans votre âme, elle y a mûri ; puis, un soir ou un matin, quand le poète ôte son foulard, quand le peintre bâille encore, lorsque le musicien va souffler sa lampe,