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ça n’a que neuf ans et demi ! Qu’est-ce que ce sera donc à vingt ans ?

Le sous-préfet écouta machinalement ce dernier commérage admiratif. Et alors Julien bavarda pendant quelques minutes. Antonin Goulard écoutait Julien, tout en pensant à l’inconnu.

— Attends, dit le sous-préfet à son domestique.

— Quel gâchis !… se disait-il en revenant à pas lents. Un homme qui dîne avec le comte de Gondreville et qui passe la nuit à Cinq-Cygne !… En voilà des mystères !…

— Eh bien ! lui cria le cercle de mademoiselle Beauvisage tout entier quand il reparut.

— Eh bien ! c’est un comte, et de vieille roche, je vous en réponds !

— Oh ! comme je voudrais le voir ! s’écria Cécile.

— Mademoiselle, dit Antonin en souriant et en regardant avec malice madame Mollot, il est grand et bien fait, et il ne porte pas perruque !… Son petit domestique était gris comme les vingt-deux cantons ; on l’avait abreuvé de vin de Champagne à l’office de Gondreville, et cet enfant de neuf ans a répondu avec la fierté d’un vieux laquais à Julien, qui lui parlait de la perruque de son maître : Mon maître, une perruque ! je le quitterais… Il se teint les cheveux, c’est bien assez !

— Votre lorgnette grossit beaucoup les objets, dit Achille Pigoult à madame Mollot qui se mit à rire.

— Enfin, le tigre du beau comte, gris comme il est, court à Troyes à cheval porter une lettre, et il y va malgré la nuit, en cinq quarts d’heure.

— Je voudrais voir le tigre, moi, dit Vinet.

— S’il a dîné à Gondreville, dit Cécile, nous saurons qui est ce comte ; car mon grand-papa y va demain matin.

— Ce qui va vous sembler étrange, dit Antonin Goulard, c’est qu’on vient de dépêcher de Cinq-Cygne à l’inconnu mademoiselle Anicette, la femme de chambre de la princesse de Cadignan, et qu’il y va passer la soirée…

— Ah ! çà, dit Olivier Vinet, ce n’est plus un homme, c’est