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— Il paraît que c’est quelque chose de bien pressé, car le comte qui revenait de Gondreville…

— L’étranger est allé à Gondreville ?…

— Il y a dîné ! monsieur le sous-préfet. Et, vous allez voir, c’est à faire rire ! Le petit domestique est, parlant par respect, soûl comme une grive ! Il a bu tant de vin de Champagne à l’office, qu’il ne se tient pas sur ses jambes, on l’aura poussé par plaisanterie à boire.

— Eh bien ! le comte ?

— Le comte, qu’était couché, quand il a lu la lettre, s’est levé ; maintenant il s’habille. On attelait le tilbury. Le comte va passer la soirée à Cinq-Cygne.

— C’est alors un bien grand personnage ?

— Oh ! oui, monsieur ; car Gothard, l’intendant de Cinq-Cygne, est venu ce matin voir son beau-frère Poupard, et lui a recommandé la plus grande discrétion en toute chose sur ce monsieur, et de le servir comme si c’était un roi…

— Vinet aurait-il raison ? se dit le sous-préfet. Y aurait-il quelque conspiration ?…

— C’est le duc Georges de Maufrigneuse qui a envoyé monsieur Gothard au Mulet. Si Poupard est venu ce matin, ici, à cette assemblée, c’est que ce comte a voulu qu’il y allât. Ce monsieur dirait à monsieur Poupard d’aller ce soir à Paris, il partirait… Gothard a dit à son beau-frère de tout confondre pour ce monsieur-là, et de se moquer des curieux.

— Si tu peux avoir Anicette, ne manque pas de m’en prévenir !… dit Antonin.

— Mais je peux bien l’aller voir à Cinq-Cygne, si monsieur veut m’envoyer chez lui au Val-Preux.

— C’est une idée. Tu profiteras du chariot pour t’y rendre… Mais qu’as-tu à dire du petit domestique ?

— C’est un crâne que ce petit garçon ! monsieur le sous-préfet. Figurez-vous, monsieur, que gris comme il est, il vient de partir sur le magnifique cheval anglais de son maître, un cheval de race qui fait sept lieues à l’heure, pour porter une lettre à Troyes, afin qu’elle soit à Paris demain… Et