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CHAPITRE IX

HISTOIRE DE DEUX MALINS


La maison de Grévin, située sur la rive droite de l’Aube, et qui fait le coin de la petite place d’au-delà le pont, est une des plus vieilles maisons d’Arcis. Aussi est-elle bâtie en bois, et les intervalles de ces murs si légers sont-ils remplis de cailloux ; mais elle est revêtue d’une couche de mortier lissé à la truelle et peint en gris. Malgré ce fard coquet, elle n’en paraît pas moins être une maison de cartes.

Le jardin, situé le long de l’Aube, est protégé par un mur de terrasse couronné de pots de fleurs. Cette humble maison, dont les croisées ont des contrevents solides peints en gris comme le mur, est garnie d’un mobilier en harmonie avec la simplicité de l’extérieur.

En entrant on apercevait dans une petite cour cailloutée les treillages verts qui servaient de clôture au jardin. Au rez-de-chaussée, l’ancienne étude, convertie en salon, et dont les fenêtres donnent sur la rivière et sur la place, est meublée de vieux meubles en velours d’Utrecht vert, excessivement passé. L’ancien cabinet est devenu la salle à manger du notaire retiré.

Là, tout annonce un vieillard profondément philosophe, et une de ces vies qui se sont écoulées comme coule l’eau des ruisseaux champêtres que les arlequins de la vie politique finissent par envier quand ils sont désabusés sur les grandeurs sociales, ou fatigués des luttes insensées avec le cours de l’humanité.

Pendant que Séverine traverse le pont en regardant si son père a fini de dîner, il n’est pas inutile de jeter un coup d’œil sur la personne, sur la vie et les opinions de ce vieillard, que l’amitié du comte Malin de Gondreville recommandait au respect de tout le pays.