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sage eût fait un sacrifice pour l’obtenir ; mais, en apprenant les succès de son fils, elle se dispensa de lui donner une dot, sage réserve qui fut imitée par le notaire.

Ainsi fut consommée l’union du fils d’un fermier, jadis si fidèle aux Simeuse, avec la fille d’un de leurs plus cruels ennemis. C’est peut-être la seule application qui se fit du mot de Louis XVIII : Union et oubli.

Au second retour des Bourbons, le vieux médecin, monsieur Varlet, mourut à soixante-seize ans, laissant deux cent mille francs en or dans sa cave, outre ses biens évalués à une somme égale. Ainsi Philéas et sa femme eurent, dès 1816, en dehors de leur commerce, trente mille francs de rente ; car Grévin voulut placer en immeubles la fortune de sa fille, et Beauvisage ne s’y opposa point. Les sommes recueillies par Séverine Grévin dans la succession de son grand-père, donnèrent à peine quinze mille francs de revenu, malgré les belles occasions de placement que rechercha le vieux Grévin.

Ces deux premières années suffirent à madame Beauvisage et a Grévin pour reconnaître la profonde ineptie de Philéas. Le coup d’œil de la rapacité commerciale avait paru l’effet d’une capacité supérieure au vieux notaire, de même qu’il avait pris la jeunesse pour la force, et le bonheur pour le génie des affaires. Mais si Philéas savait lire, écrire et bien compter, jamais il n’avait rien lu. D’une ignorance crasse, on ne pouvait pas avoir avec lui la plus petite conversation, il répondait par un déluge de lieux communs agréablement débités. Seulement, en sa qualité de fils de fermier, il ne manquait pas du bon sens commercial. La parole d’autrui devait exprimer des propositions nettes, claires, saisissables, mais il ne rendait jamais la pareille à son adversaire. Philéas, bon et même tendre, pleurait au moindre récit pathétique. Cette bonté lui fit surtout respecter sa femme, dont la supériorité lui causa la plus profonde admiration.

Séverine, femme à idées, savait tout, selon Philéas. Puis, elle voyait d’autant plus juste, qu’elle consultait son père en toute chose. Enfin elle possédait une grande fermeté qui la rendit chez elle maîtresse absolue. Dès que ce résultat fut